vendredi 20 mai 2005

Sorcellerie péremptoire

Celui qui désire lire ce que Claude Roy (1915-1997) a écrit sur la Chine, en dehors de Sur la Chine (Gallimard, "Idée", n° 479), petit recueil d'articles rédigés entre 1953 et 1979, n'a qu'à s'en remettre au hasard des rencontres chez les bouquinistes. Avec un peu de chance, il pourrait tomber sur un superbe La Chine dans un miroir (La Guilde du livre, 1953), ses Clefs pour la Chine (1953) ou, ce qui ne m'est toujours pas arrivé, Le Voyage en Chine (1965), Histoires et légendes de la Chine mystérieuse (1969), voir le plus récent opus consacré à Su Dongpo (1037-1101), L'Ami qui venait de l'an mil (Gallimard, "L'un et l'autre", 1994).


Dans une note critique consacré à Sur la Chine, Simon Leys (La forêt en feu, 1983) écrivait ceci : "Alors que toute notre intelligentsia a versé des flots d'encre à propos de la Chine, il est significatif de noter que deux hommes seulement - Etiemble tout récemment (Quarante Ans de mon maoïsme, Gallimard, 1976) et maintenant Claude Roy - peuvent fièrement remettre aujourd'hui sous les yeux du public ce qu'ils écrivaient hier sur ce sujet", et il continuait " Quant aux autres, l'idée de réimprimer leurs essais chinois ne pourrait venir qu'à leurs ennemis - si cruelles que puisse être une telle initiative, il faudra quand même que quelqu'un se charge un jour de compiler ces tristes anthologies-là !". Le propos est toujours juste en cette année 2005, année qui voit justement la réédition du Des chinoises (1974) de Julia Kristeva (Pauvert, 2005).

Ayant eu le bonheur de tomber récemment sur un exemplaire des Clefs pour la Chine (44e édition, 1959) pour 5 € seulement (!), je tenais à faire partager mon plaisir face à certains passages particulièrement savoureux.

L'ouvrage date de 1953 (Gallimard, 353 pages). Claude Roy l'a publié à son retour d'un voyage dans le pays qu'il rêvait de visiter depuis qu'enfant, à douze ans, il avait lu Les tribulations d'un Chinois en Chine de Jules Verne. Il est dédié à "Kuo Mo-Jo [Guo Moruo (1892-1978)] de Chine et à Yves Farge [(1899-1953)] de France".

Les deux (premiers) extraits sont tirés su chapitre II : "Le quart des hommes vivants". Ils donneront une petite idée de l'humour piquant de ce texte qui était "animé par deux sentiments chalereux : l'amitié pour les Chinois, et l'espoir dans leur révolution", pour emprunter à nouveaux à Simon Leys.

II.2 : Les Français ont peut-être quelques raisons d'orgueil : mais sûrement pas celle qui consisterait à répéter allègrement : nous ne sommes que quarante millions. L'important, ce n'est pas le total qu'additionne le statisticien, mais la valeur de chacune des unités qu'il brasse. La Chine est un des pays où la densité d'habitants est la plus grande. Je sais désormais que c'est aussi un des pays où la qualité humaine est la plus dense. Le monde est sauvé par les meilleurs. Tant mieux s'ils sont des millions. Des milliards. Etre beaucoup, ce n'est pas un péché originel.

II.3 : La psychologie des peuples est une sorcellerie péremptoire. Elle procède comme les oracles : par affirmations sans clefs. Il est entendu que le Chinois (le Chinois) est un magot pansu, fataliste, indifférent aux supplices et à la mort, qui prolifère, se nourrit de riz, de thé et d'opium, hait les étrangers, vend ses enfants à bas prix, etc. Les voyageurs compulsent gravement le petit Dictionnaire des idées reçues sur la Chine, où ils vont puiser toute leur science. J'en reconstitue quelques articles sans effort : ACUPUNCTURE : Supplice chinois et médical : aiguilles qu'on enfonce dans le nez pour chatouiller la rate. BAMBOU : Arbre utilisé par les : I° peintres (voir ART) ; 2° bourreaux (voir SUPPLICES) ; 3° fabricants de paravents (voir ARTISANS). BRIGANDS (Tous les Chinois sont des -). COOLIES (Tous les Chinois sont des -). DETECTIVES (les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni mandarins sont détectives. Cf. Le Mystérieux Docteur Fu Man Chu). JAUNE (Le Péril -). KIDNAPPING, du Chinois KHI-DNHAH-PING : Sport national chinois. MANDARINS (les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni cuisiniers, ni blanchisseurs, ni détectives sont -). PAGODE : Habitation usuelle des Chinois. PALANQUIN (Les Chinois se déplacent en -). PIEDS (Les Chinois ont de petits -). REBELLES (Les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni cuisiniers, ni blanchisseurs, ni détectives, ni mandarins sont -) Voir PAVILLONS NOIRS, TAÏPING, ROUGES, etc.) VIE HUMAINE (Les Chinois sont indifférents à la -).
Il est sans doute plus prudent de poser comme définition première des Hans un signalement anthropométrique aussi précis et sec que possible : branche de la race mongole, brachycéphales, peau jaune, cheveux noirs, barbe peu développée, yeux noirs remontant obliquement vers les tempes, larges narines, visage rond, taille petite, un peu plus élevée dans le Nord, etc.

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