L'expression apparaît chez Fénelon (1651-1715), alias François de Salignac de La Mothe, qui a fait dialoguer Confucius et Socrate, dans le septième de ses Dialogues avec les morts composés pour l'éducation d'un prince (1692), dont voici le début : Confucius : J'apprends que vos Européens vont souvent chez nos Orientaux, et qu'ils me nomment le Socrate de la Chine. Je me tiens honoré de ce nom. Socrate : Laissons les compliments, dans un pays où ils ne sont plus de saison. Sur quoi fonde-t-on cette ressemblance entre nous ? Confucius : Sur ce que nous avons vécu à peu près dans les mêmes temps, et que nous avons été tous deux pauvres, modérés, pleins de zèle pour rendre les hommes vertueux. Socrate : Pour moi, je n'ai point formé, comme vous, des hommes excellents, pour aller dans toutes les provinces semer la vertu, combattre le vice et instruire les hommes. On peut le lire dans une version numérisée des Dialogues sur le site de la BNF ou dans le choix réalisé par Jacques Gaillard pour Actes Sud (collection "Babel" n° 108, p. 40-54) et les savants commentaires d'Etiemble qui consacra le chapitre XXII de son Europe chinoise, Tome I. De l'Empire romain à Leibniz. (Paris : Gallimard, "Bibliothèque des Idées", 1988, p. 321-334), à "Fénelon et la Chine (D'après Socrate et Confucius)". En voici la conclusion : |
Intéressante, en somme, et contradictoire, la thèse de Fénelon en ce dialogue des morts ! Agacé par la sinophilie des jésuites et des humanistes, il leur reproche de n'être point assez philosophes, et d'accepter comme autant de vérités toutes les fables à la mode ; en quoi il avait grandement, sinon tout à fait raison. Mais par réaction contre ce zèle indiscret, il oublie la prudence qu'il commande à ceux qu'il critique, et dénigre la Chine avec autant de passion que ceux-là en gaspillent à la louer sans mesure. Plus "philosophe" en un sens que les "philosophes", en l'autre sens il l'est beaucoup moins qu'eux. Bayle tirait à soi le P. Le Gobien ; Fénelon, qui connaît les ouvrages du P. Le Comte, y néglige ce qui trop évidemment contredit son préjugé. Si telles sont les faiblesses de deux hommes exceptionnels par l'intelligence, imaginez qu'elle Chine alors se représentent les médiocres ! Tâchez plutôt de ne pas l'imaginer. (p. 334) |
Du reste, il semblerait que la comparaison de Confucius avec Socrate soit antérieure au dialogue de Fénelon. On la trouve, en effet, dans un texte de François de La Mothe Le Vayer (1588-1672) dont le titre est De la vertu des paîens (1641) (Paris : Augustin Courbé, 1647), également accessible dans le fonds numérisé de la BNF. La seconde partie porte un chapitre intitulé "De Confutius, le Socrate de la Chine" (p. 228-239) qu'analyse finement Etiemble (op.cit., p. 268-279).
Toutes les histoires que nous avons d'eux conviennent en ce point, que le plus homme de bien, et le plus grand Philosophe qu'ait vu l'Orient, a été un nommé Confutius Chinois, dont ils ont la mémoire en telle vénération, qu'ils élèvent sa statue dans des Temples, avec celles de quelques-uns de ses disciples. Ce n'est pourtant qu'ils le tiennent pour un Dieu, ni qu'ils l'invoquent en leurs prières ; mais ils pensent qu'après le Souverain Etre, l'on peut ainsi révérer les grands personnages qu'ils croient Saints et dont ils font une espèce de demi-Dieu. Entre plusieurs circonstances de la vie de ce Philosophe, il y en a deux ou trois qui me font dire, qu'on le peut fort bien nommer le Socrate de la Chine. La première regarde le temps auquel il a paru dans le monde, qui ne se trouvera guère différent de celui du vrai Socrate des Grecs. Car si la naissance de Confutius n'a précédé celle de notre Seigneur que de cent cinquante et un an, selon la supputation du Père Trigaut, Confutius ayant vécu plus de soixante et dix ans, il y aura peu à dire que le temps de sa mort n'arrive à celui de la génération de Socrate. D'où il s'ensuit qu'un même siècle fit voir à la Chine et à la Grèce les deux plus vertueux hommes de toute la Gentilité. Ils ont encore cela en commun entre eux, que l'un et l'autre méprisèrent les sciences moins utiles pour cultiver très soigneusement celles des moeurs qui nous touchent de près. De sorte qu'ont peut dire que Confutius fit descendre aussi que Socrate la philosophie du Ciel en terre, par l'autorité qu'ils donnèrent tous deux à la Morale, que les curiosités de la Physique, de l'Astronomie, et de semblables spéculations avaient presque fait mépriser auparavant. (p. 230-231)
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