lundi 2 mai 2005

Le Coum-tse du Père Lecomte

Dans la série "Le Confucius de ..." ou "A chacun son Confucius selon la nécessité du moment". Ici, se trouver des appuis pour financer de nouvelles missions en Chine. Le rédacteur de cette présentation est le Père Louis Le Comte (1655-1728), auteur des Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine qu'on peut lire comme ici dans la version de l'édition de 1696 (Paris, J. Anisson) ou dans la réédition moderne parue sous le titre d'Un Jésuite en Chine. Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine. 1687-1692 (Paris : Phébus, 1990). Le petit "essai" sur Confucius, dont voici un extrait, figure dans la Lettre septième à Monseigneur l'Archevêque Duc de Reims, Premier Pair de France, intitulée "De la langue, des caractères, des livres, de la morale des Chinois" (respectivement pages 404-439 et 245-261).

Ce ne seroit pas, monseigneur,vous donner une connoissance assez étenduë de la litterature chinoise, si je ne vous parlois plus particulierementde Confucius qui en fait le principal ornement.
C'est la source la plus pure de leur doctrine, c'est leur philosophe, leur legislateur, leur oracle ; et quoiqu'il n'ait jamais esté roy, on peut dire neanmoins qu'il a gouverné durant sa vie une grande partie de la Chine, et qu'il a eu depuis sa mort plus de part qu'aucun autre dans l'administration de l'etat, par les maximes qu' il y a répanduës et par les beaux exemples qu'il y a donnez : de sorte que c'est encore le modelle de tous les gens de bien. Sa vie a esté écrite par plusieurs personnes : j'en rapporteray icy ce qu'on en dit ordinairement.
Confucius, que les chinois nomment Coum-Tse, nâquit dans la province de Chanton, la trente-septiéme année du regne de l'empereur Kim, quatre cens quatre-vingt-trois ans avant la venuë de
nostre seigneur.
La mort de son pere, qui préceda sa naissance, luy fit donner le nom de Tcesse, qui veut dire enfant de douleur. Il tiroit son origine de Ti-Y, vingt-septiéme empereur de la seconde race. Quelque illustre que fust cette famille par une longue suite de rois, elle le devint beaucoup plus par la vie de ce grand homme : il effaça tous ses ancestres, mais il donna à sa posterité un éclat qui dure encore, aprés plus de deux mille ans. La Chine ne reconnoist de veritable noblesse que dans cette famille également respectée des souverains, qui y ont puisé comme dans leur source les loix du parfait gouvernement, et aimée de tous les peuples, au bonheur desquels elle a si utilement travaillé.
Confucius ne passa point par les degrez ordinaires de l'enfance : il parut raisonnable beaucoup plûtost que les autres hommes ; car il n'aimoit rien de ce qui occupe les enfans. Les jeux, la promenade, les amusemens propres de son âge ne le touchoient presque point. Il avoit un air grave et serieux qui luy attiroit du respect, et qui fut déslors un présage de ce qu'il devoit estre un jour : mais ce qui le distingua le plus fut une pieté tendre et reglée. Il honoroit ses parens, il tâchoit en tout d'imiter son ayeul qui vivoit pour lors à la Chine en odeur de sainteté ; et on remarqua que jamais il ne mangeoit rien qu'aprés s'estre prosterné par terre, et l'avoir offert au souverain maistre du ciel.
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Quand Confucius fut dans un âge plus avancé, il fit un recueil des plus belles maximes des anciens, qu'il tâcha de suivre et d'inspirer à tous les peuples.
Chaque province estoit alors un royaume distingué, qu'un prince, quoique dépendant de l'empereur, ne laissoit pas de gouverner par des loix particulieres. Il levoit les tailles, il disposoit
de toutes les charges, il declaroit la guerre, ou faisoit la paix comme il jugeoit. Ces petits rois avoient souvent entr'eux des differens, l'empereur luy-mesme les craignoit, et n'avoit pas toûjours assez d'authorité pour s'en faire obeïr. Confucius persuadé que jamais les peuples ne seroient heureux, ce qu'il se proposoit neanmoins comme la fin du bon gouvernement, tandis que l'interest, l'ambition, la fausse politique regneroient dans toutes ces petites cours, resolut de prescher par tout une morale severe, d'inspirer le mépris des richesses et des plaisirs ; une estime infinie de la justice, de la temperance et des autres vertus ; une grandeur d'ame à l'épreuve des respects humains, une sincerité incapable du moindre déguisement, mesme à l'égard des plus grands princes ; enfin un genre de vie qui combatît toutes les passions, et qui cultivât uniquement la raison et la vertu.
Ce qui est admirable, c'est qu' il prêchoit plus par ses exemples que par ses paroles ; aussi fit-il par-tout des fruits tres-considerables. Les rois se gouvernoient par ses conseils, les peuples le réveroient comme un saint ; tout le monde le loüoit ; et ceux mesme qui ne suivoient pas ses exemples, ne laissoient pas de les admirer : mais il avoit quelquefois une severité qui éloignoit de luy jusqu' à ses amis.
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Confucius vescut soixante et treize ans ; mais il passa les dernieres années de sa vie dans la douleur, à la vûë des desordres qui regnoient parmi les peuples. On luy entendoit dire ordinairement : la montagne est tombée, et une haute machine a esté détruite. Pour marquer que ce grand édifice de la perfection, qu'il avoit élevé avec tant de soin dans tous les royaumes, se trouvoit à demi renversé. les rois, dît-il un jour durant sa derniere maladie, ne suivent pas mes maximes : je ne suis plus utile au monde, ainsi il est temps que j'en sorte. Dés ce moment il tomba dans une létargie qui dura sept jours, au bout desquels il rendit l'esprit entre les mains de ses disciples.
Il fut pleuré de tout l'empire, qui dés ce temps l'honora comme un saint, et inspira pour luy à la posterité des sentimens de veneration, qui apparemment ne finiront qu'avec le monde. Les rois luy ont basti des palais aprés sa mort dans toutes les provinces, où les sçavans luy vont rendre en certains temps des honneurs politiques. On y voit en plusieurs endroits ces titres d'honneur écrits en gros caractéres : au grand maistre : au premier docteur : au saint : à celuy qui a enseigné les empereurs et les rois. cependant, ce qui est fort extraordinaire, jamais les chinois n' en ont fait une divinité, eux qui ont donné la qualité de dieu, ou comme ils parlent, de purs esprits à tant de mandarins moins illustres que luy. Comme si le ciel, qui l'avoit fait naître pour la réforme des moeurs, n'eust pas voulu permettre qu'une vie si reglée fust aprés sa mort une occasion de superstition et d'idolatrie.
On conserve encore en plusieurs endroits de la Chine des antiques qui le representent au naturel, et qui s'accordent assez avec ce que l'histoire nous en a laissé. Il n'estoit pas bel homme : il avoit mesme au front une enflure ou une espece de bosse qui le disgracioit, et qu'il faisoit souvent remarquer aux autres pour s'humilier. D'ailleurs sa taille estoit si avantageuse et si proportionnée, son air si grave, sa voix si forte et si éclatante, que pour peu qu'il s'échauffast, on ne pouvoit s'empêcher d'estre ému, et de l'écouter avec respect. Mais les maximes de morale qu'il a répanduës dans ses ouvrages, ou que ses disciples ont eu soin de recueillir, font un portrait de son ame beaucoup plus avantageux.
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Suivent quatorze "maximes" du type La beauté n'est point à souhaiter pour le sage (I), Il faut se borner si l'on veut être parfait (II), Un homme doit souvent changer s'il veut être constant dans la sagesse (III), chacune illustrée par une anecdote mettant en scène Confucius, puis vient la conclusion :

Par cet échantillon de la morale de Confucius vous jugez bien, monseigneur, que la raison est de tous les temps et de tous les lieux. Seneque ne nous a rien dit de meilleur ; et si j'ay le loisir, comme j'en ay la pensée, de faire un recueil entier des maximes de nostre philosophe ; peut-estre y trouvera-t-on tout ce qu' il faut, pour luy donner rang parmi nos sages de l'antiquité.
Je souhaitte du moins, monseigneur, que le portrait, que je viens de vous en faire, ne vous ait pas tout-à-fait déplu. S' il vivoit encore aujourd'huy, tout philosophe qu'il est, je suis seur qu'il seroit sensible à l'approbation que vous luy donneriez. Un témoignage comme le vostre, toûjours éclairé, toûjours sincere, doit necessairement faire plaisir aux plus grands hommes. Peut-estre que jusqu'ici on a peu compté en France sur l'idée que tout l'orient s'en est formée ; mais dés que vous l' honorerez de vostre estime, tout le monde sera persuadé que l'antiquité ne l'a point flatté, et que la Chine en le choisissant pour maistre et pour docteur, a rendu justice à son merite.

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