Quand Confucius fut dans un âge plus avancé, il fit un recueil des plus belles maximes des anciens, qu'il tâcha de suivre et d'inspirer à tous les peuples. Chaque province estoit alors un royaume distingué, qu'un prince, quoique dépendant de l'empereur, ne laissoit pas de gouverner par des loix particulieres. Il levoit les tailles, il disposoit de toutes les charges, il declaroit la guerre, ou faisoit la paix comme il jugeoit. Ces petits rois avoient souvent entr'eux des differens, l'empereur luy-mesme les craignoit, et n'avoit pas toûjours assez d'authorité pour s'en faire obeïr. Confucius persuadé que jamais les peuples ne seroient heureux, ce qu'il se proposoit neanmoins comme la fin du bon gouvernement, tandis que l'interest, l'ambition, la fausse politique regneroient dans toutes ces petites cours, resolut de prescher par tout une morale severe, d'inspirer le mépris des richesses et des plaisirs ; une estime infinie de la justice, de la temperance et des autres vertus ; une grandeur d'ame à l'épreuve des respects humains, une sincerité incapable du moindre déguisement, mesme à l'égard des plus grands princes ; enfin un genre de vie qui combatît toutes les passions, et qui cultivât uniquement la raison et la vertu. Ce qui est admirable, c'est qu' il prêchoit plus par ses exemples que par ses paroles ; aussi fit-il par-tout des fruits tres-considerables. Les rois se gouvernoient par ses conseils, les peuples le réveroient comme un saint ; tout le monde le loüoit ; et ceux mesme qui ne suivoient pas ses exemples, ne laissoient pas de les admirer : mais il avoit quelquefois une severité qui éloignoit de luy jusqu' à ses amis. .../... |
Confucius vescut soixante et treize ans ; mais il passa les dernieres années de sa vie dans la douleur, à la vûë des desordres qui regnoient parmi les peuples. On luy entendoit dire ordinairement : la montagne est tombée, et une haute machine a esté détruite. Pour marquer que ce grand édifice de la perfection, qu'il avoit élevé avec tant de soin dans tous les royaumes, se trouvoit à demi renversé. les rois, dît-il un jour durant sa derniere maladie, ne suivent pas mes maximes : je ne suis plus utile au monde, ainsi il est temps que j'en sorte. Dés ce moment il tomba dans une létargie qui dura sept jours, au bout desquels il rendit l'esprit entre les mains de ses disciples. Il fut pleuré de tout l'empire, qui dés ce temps l'honora comme un saint, et inspira pour luy à la posterité des sentimens de veneration, qui apparemment ne finiront qu'avec le monde. Les rois luy ont basti des palais aprés sa mort dans toutes les provinces, où les sçavans luy vont rendre en certains temps des honneurs politiques. On y voit en plusieurs endroits ces titres d'honneur écrits en gros caractéres : au grand maistre : au premier docteur : au saint : à celuy qui a enseigné les empereurs et les rois. cependant, ce qui est fort extraordinaire, jamais les chinois n' en ont fait une divinité, eux qui ont donné la qualité de dieu, ou comme ils parlent, de purs esprits à tant de mandarins moins illustres que luy. Comme si le ciel, qui l'avoit fait naître pour la réforme des moeurs, n'eust pas voulu permettre qu'une vie si reglée fust aprés sa mort une occasion de superstition et d'idolatrie. On conserve encore en plusieurs endroits de la Chine des antiques qui le representent au naturel, et qui s'accordent assez avec ce que l'histoire nous en a laissé. Il n'estoit pas bel homme : il avoit mesme au front une enflure ou une espece de bosse qui le disgracioit, et qu'il faisoit souvent remarquer aux autres pour s'humilier. D'ailleurs sa taille estoit si avantageuse et si proportionnée, son air si grave, sa voix si forte et si éclatante, que pour peu qu'il s'échauffast, on ne pouvoit s'empêcher d'estre ému, et de l'écouter avec respect. Mais les maximes de morale qu'il a répanduës dans ses ouvrages, ou que ses disciples ont eu soin de recueillir, font un portrait de son ame beaucoup plus avantageux. .../... |
Suivent quatorze "maximes" du type La beauté n'est point à souhaiter pour le sage (I), Il faut se borner si l'on veut être parfait (II), Un homme doit souvent changer s'il veut être constant dans la sagesse (III), chacune illustrée par une anecdote mettant en scène Confucius, puis vient la conclusion :
Par cet échantillon de la morale de Confucius vous jugez bien, monseigneur, que la raison est de tous les temps et de tous les lieux. Seneque ne nous a rien dit de meilleur ; et si j'ay le loisir, comme j'en ay la pensée, de faire un recueil entier des maximes de nostre philosophe ; peut-estre y trouvera-t-on tout ce qu' il faut, pour luy donner rang parmi nos sages de l'antiquité.
Je souhaitte du moins, monseigneur, que le portrait, que je viens de vous en faire, ne vous ait pas tout-à-fait déplu. S' il vivoit encore aujourd'huy, tout philosophe qu'il est, je suis seur qu'il seroit sensible à l'approbation que vous luy donneriez. Un témoignage comme le vostre, toûjours éclairé, toûjours sincere, doit necessairement faire plaisir aux plus grands hommes. Peut-estre que jusqu'ici on a peu compté en France sur l'idée que tout l'orient s'en est formée ; mais dés que vous l' honorerez de vostre estime, tout le monde sera persuadé que l'antiquité ne l'a point flatté, et que la Chine en le choisissant pour maistre et pour docteur, a rendu justice à son merite.
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