dimanche 29 mai 2005

Lords of the world

L'exergue que Wells avait donné à son The War of the Worlds manquera sa doute au simple spectateur du film (Cf. Spielberg vs Wells).

Il reprend un passage d'un des monuments de la littérature anglaise The Anatomy of Melancholy (1621) dans lequel Robert Burton (1577-1640) son auteur cite son contemporain Johannes Kepler (1571-1630). Le voici :

"But who shall dwell in these Worlds, if they be inhabited ? ... Are we or they Lords of the World ?... And, how are all things made for man ?"

ce qui est traduit : "Mais qui peut habiter ces Mondes, s'ils sont habités ? ... Qui sont les Maîtres de l'Univers, eux ou nous ?... Et comment toutes choses ne seraient-elles faites que pour l'homme ?" dans la première note apportée à l'édition "Folio plus" n° 42 qui reproduit la traduction que Henry D. Davray donna au Mercure de France en 1950 (Paris : Gallimard, 1998).

Le passage dont est tirée l'exergue figure dans la seconde partie, "The Cure of Melancholy". Le voici dans son intégralité :

For the planets, [Kepler] yields them to be inhabited, he doubts of the stars; and so doth Tycho in his astronomical epistles, out of a consideration of their vastity and greatness, break out into some such like speeches, that he will never believe those great and huge bodies were made to no other use than this that we perceive, to illuminate the earth, a point insensible in respect of the whole. But who shall dwell in these vast bodies, earths, worlds, if they be inhabited? rational creatures? as Kepler demands, or have they souls to be saved? or do they inhabit a better part of the world than we do? Are we or they lords of the world? And how are all things made for man?

Le titre complet du monumental ouvrage que Robert Burton signa du pseudonyme de Democritus Junior est The Anatomy of Melancholy, What it is, with all the kinds, causes, symptomes, prognostickes and severall cures of it.. Philosophically, medicinally, historically opened and cut up. Un facsimilé de l'édition H. Cripps (Oxford, 1638) peut être téléchargé à partir de Gallica (73 Mo). La version numérique du Poject Gutenberg est de loin plus praticable mais semble-t-il partielle. Une version intégrale française (deux gros volumes réédités en 2004 en coffret) existe chez Corti qui lui consacre une page sur son site :

Chacun connaît le jeu de l'île déserte. L'anatomie de la mélancolie de Robert Burton (1576-1640) fait partie des dix livres à emporter sur cette fameuse île. Sans équivalent à son époque ni après elle, l'Anatomie est la somme de toutes les questions que se pose l'individu face au monde, la somme aussi de toute la culture classique. Si l'Anatomie est la Bible de l'honnête homme, elle demeure pour nous un livre total.

Suit un passage tiré du prologue qui donne vraiment envie de se procurer l'ouvrage et d'en dévorer les quelque 4000 pages :

Si la sentence de Synésios de Cyrène, voler les travaux des morts est une plus grande offense que voler leurs vêtements, est justifiée, que deviendront la plupart des écrivains ? À la barre, je lève la main avec les autres car je suis coupable de ce type de crime, vous avez l’aveu de l’accusé, être condamné avec les autres me satisfait. Il est tout à fait vrai que nombreux sont ceux que tient la maladie incurable d’écrire et il n’y a point de fin à multiplier les livres, comme le disait déjà le vieux sage ; à notre époque écrivassière et tout particulièrement alors que le nombre de livres est innombrable, comme l’a dit un homme de valeur, et quand les presses sont oppressées, à une époque où il suffit que tout un chacun soit d’humeur à se gratter pour vouloir s’afficher et désirer célébrité et honneurs (nous écrivons tous, doctes et ignares), celui-là écrira quoi qu’il en soit et y parviendra, peu importent ses sources. Ensorcelés par le désir d’être célèbres, même au plus fort de la maladie, au risque de perdre la santé et d’être à peine capables de tenir une plume, ils doivent dire quelque chose, le sortir d’eux-mêmes, et se faire un nom, quitte à écraser et à ruiner beaucoup d’autres personnes. Ils veulent être comptés parmi les écrivains, être salués comme écrivains, être acceptés et tenus pour polymathes et polyhistors, se voir attribuer par la foule ignorante l’appellation vaine d’artiste, obtenir un royaume en papier; sans espoir de gain mais désireux d’une grande célébrité, à notre époque d’érudition immature, de précipitation et d’ambition (voilà comment J. C. Scaliger la critique) et alors qu’ils ne sont encore que des disciples, voilà qu’ils veulent devenir des maîtres et des professeurs, avant même de savoir écouter correctement. Ils se précipitent vers tous les domaines de la connaissance, civils ou militaires, vers les auteurs de théologie et ceux des humanités, fouillent tous les index et tous les pamphlets pour produire des notes, comme nos marchands draguent le fond des ports étrangers pour y faire entrer leurs navires, ils écrivent de gros volumes, alors que ces derniers attestent qu’ils sont plus loquaces qu’érudits. Ils prétendent généralement être à la recherche du bien de tous, mais, comme le fait remarquer Gesner, ils sont poussés par l’orgueil et la vanité, ils n’apportent rien de neuf ni rien qui en vaille la peine, seulement la même chose, en d’autres termes. S’ils deviennent auteurs, c’est pour occuper les imprimeurs ou pour prouver qu’ils ont existé. Tels des apothicaires, nous réalisons de nouveaux mélanges tous les jours, versons d’un récipient dans un autre, et comme ces anciens Romains qui pillèrent toutes les cités du monde pour construire leur Rome, en en choisissant si mal le site, nous écrémons l’esprit des autres hommes, prenons les plus belles fleurs dans les jardins que d’autres ont entretenus avec soin et les transplantons dans nos propres parterres stériles. Ils lardent leurs maigres livres de la graisse de ceux des autres dénonce Giovio. Voleurs ignorants, &c. Faute que soulignent tous les écrivains, comme je le fais en ce moment, et pourtant tous sont coupables, ils sont des hommes de trois lettres, tous des voleurs, ils pillent les écrivains d’autrefois pour rembourrer leurs nouveaux commentaires, raclent les tas de fumier d’Ennius, plongent dans le puits de Démocrite, comme je l’ai fait. Et c’est ainsi que l’on voit que non seulement nos bibliothèques et nos librairies sont pleines de papier puant, mais aussi toutes les chaises percées, toutes les latrines ; les vers qu’ils écrivent sont lus à la selle; ils servent à emballer les tourtes, à envelopper les épices, à empêcher les rôtis de brûler.

Chez nous, en France, nous dit J. J. Scaliger, tous les hommes sont libres d’écrire, mais peu en sont capables, jusqu’à présent le savoir était servi par des savants au jugement sain, mais à présent les sciences les plus nobles sont salies par des pisse-copie vils et sans culture qui écrivent par vaine gloire, par nécessité, pour obtenir de l’argent ou pour flatter et enjôler quelque grand homme qu’ils parasitent ; ils produisent des niaiseries, des déchets et des sottises. Parmi tant de milliers d’auteurs, vous aurez du mal à en trouver dont la lecture fera de vous quelqu’un d’un peu meilleur; tout au contraire elle vous infectera alors qu’elle devrait contribuer à vous perfectionner.

Celui qui lit ces choses,
Qu’apprend-il sinon des billevesées et des bagatelles
?

De sorte qu’il arrive fréquemment (Callimaque l’a remarqué autrefois) qu’un grand livre soit un grand malheur. Cardan accuse les Français & les Allemands d’écrire pour rien, il ne leur reproche pas d’écrire, mais voudrait les voir faire preuve d’inventivité ; nous continuons sans cesse à tisser le même filet, à tordre la même corde encore et encore, ou alors, s’il s’agit d’une nouveauté, elle n’est que babiole ou divertissement écrit par des gens oisifs qui souhaitent être lus par des gens tout aussi oisifs; et pourquoi ne savent-ils pas inventer? Il faut avoir un esprit bien stérile pour, à notre époque où tous écrivent, ne rien forger de neuf. Les princes exhibent leurs armées, les riches se vantent de leurs édifices, les soldats de leur virilité, et les lettrés divulguent leurs babioles, il faut qu’on les lise, il faut qu’on les entende, qu’on le veuille ou non.

samedi 28 mai 2005

(The) War of the Worlds

Dans sa République des livres (un blog du Monde), Pierre Assouline [P. A.] se désole de constater que dans la "bande-annonce d'un "grand" film américain qui nous tombera dessus le 3 juillet", on fasse si peu de cas de l'auteur du livre qui a servi de source d'inspiration au réalisateur. Il écrit :

"Un concentré d'images spectaculaires amplifié par les décibels. Puis, occupant tout l'écran en gros caractères, successivement "La guerre des mondes" et "un film de Steven Spielberg". Enfin une avalanche de noms, une trentaine peut-être, lancés à une vitesse quasi subliminale. Et perdu entre ceux du directeur de casting et du responsable des effets spéciaux, celui de H.G.Wells. Le seul sans lequel ce film n'existerait pas. On en est là.

War of the Worlds est ainsi présenté comme un film "based on the novel by H.G. Wells" sur un site qui lui est consacré et sur lequel on trouve tout un arsenal de "teaser", "trailer", "clip" qui met surtout en avant l'acteur principal, Tom Cruise. C'est nous dit-on :

A contemporary retelling of H.G. Wells's seminal classic, the sci-fi adventure thriller reveals the extraordinary battle for the future of humankind through the eyes of one American family fighting to survive it.


Comment résister ? Pour tout savoir sur la fabrication du film, il faut lire le long article de Frank Rose dans le n° 13.06 de Wired.

P. A. poursuit : "Le produit provoquera certainement la cohue aux guichets plutôt que la panique dans les rues. Pour celle-ci, le cinéma n'arrive pas à la cheville de la radio quand un génie est derrière les micros. La Guerre des mondes d'Orson Welles et de sa troupe du Mercury Theater, c'était en 1938 mais on en parle encore."

Un site fournit même la possibilité d'écouter le fameux canular (57 mn 32 s.) ainsi présenté sous la photo reproduite ci-contre montrant H. G. Wells et O. Welles :

In the fall of 1938, genius extraordinaire Orson Welles, then master of broadcast theatre production for the Columbia Broadcasting System, produced and starred in an exciting on-air dramatization by Howard Koch, based on author H.G. Wells' classic science-fiction "The War of the Worlds" as part of the Mercury Theatre's Halloween offering. The play was aired on the 30th, the day before Halloween. Big mistake.

Pour conclure, P. A. nous fait la confidence d'une crainte que nous partageons tous de voir la littérature (la vraie) s'effacer devant le cinéma commercial :

"Ce que je crains ? Ce mépris pour l'écrivain ravalé au rang d'inspirateur, de fournisseur d'idées comme un vulgaire gagman. Les jeunes qui verront ce film seront persuadés à jamais que La guerre des mondes est de Spielberg, comme des millions d'enfants sont convaincus que Blanche-Neige, Cendrillon, Tom Pouce, Le petit chaperon rouge ont été inventés par Walt Disney. Qui connait encore le nom de Grimm parmi ces spectateurs ?"

Bon l'affaire est entendue, le risque existe. Néanmoins, le souvenir de Wells et son oeuvre est loin d'être effacé. Ils ont déjà résisté, l'un et l'autre, à pas moins de 68 adaptations cinématographiques. The War of the Worlds l'avait déjà été en 1953 par Byron Haskin (1899-1984), également auteur d'un Robinson Crusoe on Mars (1964) s'inpirant de Daniel Defoe (1660-1731) !

Herbert George Wells (1866-1946) et son oeuvre la plus fameuse sont du reste très présents sur l'internet, il est vrai essentiellement en anglais.

Plusieurs sites web en fournissent des versions numériques :
- Fourmilab qui fournit aussi une version numérique de The Time Machine (1895)
- Bartleby.com
- The Literature Network offre même un moteur de recherche pour approfondir sa connaissance du roman
- la Washington State University propose un "Study Guide" par Pr Paul Brians

Il y a aussi des sites de fans qui montre l'étendue de l'influence de ce roman qui date quand même de 1898 et dont la première version française fut donnée au Mercure de France en 1900. L'aventure continue.

vendredi 27 mai 2005

Vitamines

Jamais le dernier à assurer sa promotion et celle de ses techniques de réflexion, Edward de Bono livre dans son message hebdomadaire du 23 mai dernier, "Olympic Games", des indiscrétions sur les J.O. de Pékin 2008 :

London and Paris are full of notices promoting the 2012 Olympic Games. I wonder how many people seeing these notices know that the continuation of the Olympic Games is due in part to me.

The 1976 Games were held in Montreal and lost a huge amount of money. After Montreal no city in the world wanted the Games. Fortunately, Moscow agreed to host the 1980 Games because they had a different accounting system. After Moscow there was again the problem of finding a city to host the Games. Finally, Los Angeles agreed to host the Games. For the first time in history the Games made a considerable profit. After Los Angeles, cities round the world compete strongly to get the Games. So much so that bribes are even alleged.
When Peter Ueberroth, the organiser of the successful Los Angeles Games, was interviewed by the Washington Post he was asked how he had made such a success of the Games. He told how he had used 'Lateral Thinking' to generate the new ideas and concepts that were needed. Someone sent me this cutting. I wrote to Peter Ueberroth and asked him where he had learned his Lateral Thinking. He reminded me that he had been my host when I talked to the Young Presidents Organisation in Boca Raton Florida in 1975. From that ninety minute talk he took some of the principles and tools of lateral thinking and applied them nine years later to the design of the Los Angeles Games. That says much for his leadership and ability.
For this reason when I was in Beijing two years ago, the Olympic Committee asked for a special meeting with me. We generated some interesting ideas which may be used in 2008.


Il est encore trop tôt pour savoir quel sera l'impact du "lateral thinking" sur la tournure que prendront les jeux chinois. En attendant, on peut toujours s'amuser à penser latéralement avec la liste d'énigmes fournit par Paul Sloane ou en plongeant dans les archives mises à disposition par Arlet Ottens.

Ailleurs, dans un texte écrit après un séjour en Chine dans le cadre du World Economic Forum qui l'a amené à donné des conférences dans divers lieux, tels le Beijing Olympic Committee, le Beijing Institute of Technology, China Central TV et une conférence publique, texte que l'on trouve sur le site Thinking Managers, E. de Bono fournit son analyse du retard chinois :

As a culture, the Chinese are highly intelligent, very disciplined and hard-working and show a high respect for each other (see the Beijing traffic problem). The economy is growing by about 7.3% p.a at the moment.
Two thousand years ago the Chinese were far ahead of the West in science and technology. They had gunpowder and rockets. They had invented printing and paper long before the West. Had China continued at the same rate of progress, today China would easily be the dominant economic power in the world. So what happened?
The Chinese had a formal and civilised society very early. This had two effects. The first is that you advanced by doing things the way they should be done. The incredibly stiff Civil Service exams meant that the brightest youngsters aspired to do things in exactly the right way. The second effect is that you use your intelligence to adjust to the world rather than to change the world. Bernard Shaw put it neatly: 'Progress is due to the unreasonable person. The reasonable person seeks to adjust to the world. The unreasonable person seeks to change it'.
Then there were the scholars, the academics and the mandarin class in general. They sought certainty. They described things as they were. There was no room for ambiguity, possibility or 'maybe'. This traditional deadening effect of the scholar class (also present in the West) held back progress and was the basic reason behind the 'Cultural Revolution'. That is not to justify the way this revolution was carried out.
It seems the Chinese never developed the 'hypothesis'. Without that key piece of 'mental software', progress came to an end. Where did the hypothesis come from? It came from ancient Greece and the pre-Socratic thinkers, who were much brighter than the Gang of Three but were suppressed by the Gang and, much later, by Christian thinkers.

In science the hypothesis provides a framework for collecting evidence and designing experiments. In Karl Popper's view you should set up the most 'reasonable' hypothesis and then seek to refute this. This approach is very seriously flawed. If you only have the most reasonable hypothesis, you can only see the evidence in one way. You need other hypotheses, even if they are unreasonable. After all, reason is only a framework of expectation set up by past experience. In technology the hypothesis is the 'vision'. We imagine a possibility and then look to see how we can make it happen. So it is possible that this very intelligent Chinese culture was brought to a standstill through the absence of this key piece of mental software.

Il ne s'arrête pas là et se pose en sauveur de la Chine. En effet, ses travaux constitueraient, selon lui, la vitamine dont la Chine a besoin pour devenir une puissante nation :

The human body needs food. It also needs vitamins. The vitamins work with key enzymes to carry out essential work. Without a key vitamin, life can stop. The 'possibility system' is a key vitamin in progress. That is why the Chinese have become so interested in my work. They see this as the key missing vitamin in their thinking. I agree. I believe that if this 'vitamin' is introduced in all schools and at all levels in society, China will become a very powerful nation indeed.

jeudi 26 mai 2005

Beida online

Beida comme si on y était, ou presque.

L'internet permet dorénavant de suivre des cours de littérature chinoise ancienne dispensés à des étudiants chercheurs de l'Université de Pékin (Beijing daxue). Grâce à Internet Explorer, RealOne Player et une connection à haut débit, on peut ainsi pénétrer dans un amphi flambant neuf de la prestigieuse université chinoise.

Pour l'instant, seuls trois cours sont disponibles. Un cours sur le poète Du Fu par le Pr. Qian Zhixi, un sur les prosateurs des Tang, par le Pr. Ge Xiaoyin et un autre sur nul autre que Li Yu 李漁 (1611-1680) par le Pr. Liu Yongqiang. (Voir photo ci-contre).
Pr. Liu aborde en 52 minutes et 58 secondes "La création romanesque de Li Yu", devant un public peu fourni, principalement composé de jeunes filles.

La difficulté ne vient pas de ce que le cours soit donné en chinois, mais que le serveur de l'université ne livre son contenu que par paquet d'octets et non, comme on pourrait l'espérer, en flot continu. Il faut sans doute s'installer dans cette classe virtuelle au moment où elle est le moins fréquentée. En fait, au bout de cinq minutes, l'image n'apporte rien et l'on se contente du son.

mercredi 25 mai 2005

Perles printanières ad nauseam

Pour un enseignant, la fin du mois de mai n'est pas seulement la période bénite des cerises et des premiers melons, mais avant tout le moment idéal pour tester sa résistance psychologique. Pour ceux qui n'en seraient pas encore conscients voici un petit aperçu de ce que ce serviteur de l'état fidèle et consciencieux doit affronter en lisant des tas de copies qui ne sont pas toutes du niveau requis (en l'occurrence, première année de Licence Langue, littérature et civilisation chinoises). L'examen portait sur le cinéma chinois et proposait de traiter par écrit et en deux heures, un des trois sujets proposés.

Ces perles vous sont livrées dans leur emballage d'origine sans retouche, ni correction, mais avec des coupures indiquées par (-) et le cas échéant, une note liminaire superflue :

Le sujet qui invitait à présenter de manière synthétique les aspects de la société chinoise mis en avant par les six films visionnés pendant le semestre, est passablement traité, mais avec des dérapages de cet acabit :

Visionner un film chinois peut s'apparanter à une observation intrinsèque de la Chine ; la société contemporaine chinoise présente des aspects bien particuliers. Quelles en sont les grandes lignes ? L'amour et l'argent sont des valeurs à double tranchant. Ils expliqueraient probablement la médiocrité du comportement humain. L'amour donne des ailes (dicton pas encore sinisé). Le plus beau des sentiments pousse la conscience humaine à agir dans le non-être. (-) Dans XXX, le protagoniste tente de séduire de façon irréfléchie son obèse partenaire. Après 18 échèques, il met tout en oeuvre pour posséder cette femme ; lui est consacré tout son temps, tout son argent et la participation de tous ses amis. (-) Dans XXX, l'héroïne adonaissante se voit contraint de se marier à un enfant de deux ans. Le poids des traditions lui pousse à commettre l'erreur impardonnable : être enceinte de son amant ouvrier. (-) Enfin, l'argent a la faculté de devenir inconcistant pour devenir bienfaisant. (-) L'amour est donc une émotion magnifique mais la finalité, soit le mariage, altère l'image des sentiments. L'argent permet de survivre en Chine mais les moyens pour se l'appoprier sont cruels.

Orthographe toujours aussi catastrophique avec cette autre copie dont on devine qu'elle n'est pas de la main d'une fille :

L'aspect que je vais traiter, sont les rapports qu'a la société chinoise avec l'amour et tous ce que la compose, quelque soit le milieu ou le le lieu.
(_) ... à un moment les moins propices pour celà, le héros est en plein dans son rapport sexuel avec sa maîtresse.

Là, on entre dans le champ de la poésie spectrale. Une copie bien courte, mais avec des trouvailles qui compensent largement la faiblesse du débit par la puissance des images. Jugez plutôt en lisant le cinquième d'un ensemble aux contours bien flous :

Loin des préjugés hypocrites américains débilitant waltdisneyiens, la Chine ou plutot certains réalisateurs chinois s'expriment sur un sujet n'obéissant qu'aux lois naturelles mais prit dans une société communiste aux normes sociales très puissantes. (-) Dans la relation homme/femme, vis à vis de l'amour, peu de relation résistent aux problèmes issus des traditions ancestrales, ou bien les "manières de faire", et du sac imperméable communiste qui se heurtent tout simplement à la nature humaine. Celle-ci, primordiale, bien plus puissante encore trouve son échapatoire dans l'adultère, qui prend alors plus comme synonyme "libérateur" que "gourmandise".

Il est vrai que c'est assez peu croyable, mais je n'ai rien inventé.

Avant de vous livrer un nouveau collier de "perles printanières", permettez-moi de vous mettre en garde contre la dangerosité de ces textes dont l'influence ne peut être que néfaste. Alors, SVP, n'en abusez pas :

A l'origine de principes anciens est basé sur la doctrine confucioniste le mariage signe suprême de sociabilité est visé par tous. (-) Les chinois seront choqués du comportement des occidentaux ne connaissant en général qu'une femme dans leur vie, et le divorce est rejetté des mentalitées. (-) L'aspect glamour de la chine est omniprésent en chine. Vraisenblablement en relation avec les mariages arrangés et pour la plus part dépourvu de vraies sentiments elle montre une Chine rêveuse. Une Chine qui se crée un hunivers romantique, de chansons d'amours et de films à l'eau de rose. Mais la Chine "fleur bleus" connait toutefois une évolution des moeurs avec notamment une très forte occidentalisation.

Les trois dérapages suivants proviennent de la même copie :

Le courageux papa s'enfuit ; le personnage principal se marie à tout hasard ; les sentiments peuvent venir un fois le mariage consumé.

mardi 24 mai 2005

Sérénité

Il semblerait que depuis l'adaptation cinématographique par Ridley Scott de Do Androids Dream Of Electric Sheep (1968) de Philip K. Dick (1928-1982), les cinéastes américains d'abord, puis tous les autres, proposent une ville du futur dont le niveau le plus bas est entièrement colonisé par les commerces asiatiques. Les enseignes lumineuses japonaises du Los Angeles de 2019 de Blade Runner (1982) sont dorénavant de en plus souvent remplacées par les magnifiques néons qu'on trouve dans toutes les grandes villes chinoises.
C'est ce que laisse entrevoir à nouveau la bande-annonce d'un "futuristic action-adventure movie" dont la sortie américaine est prévue pour septembre. Serenity, c'est son titre - il est doublé en chinois par les deux caractères en graphie simplifiéeningjing - est réalisé par Joss Whedon, dont l' "unique vision of the future" mise en avant dans le trailer n'a pas l'air si originale que cela. Elle ne l'est assurément pas dans sa vision des stratifications sociales de demain, les Chinois au plus bas, juste au dessus des égouts !

vendredi 20 mai 2005

Sorcellerie péremptoire

Celui qui désire lire ce que Claude Roy (1915-1997) a écrit sur la Chine, en dehors de Sur la Chine (Gallimard, "Idée", n° 479), petit recueil d'articles rédigés entre 1953 et 1979, n'a qu'à s'en remettre au hasard des rencontres chez les bouquinistes. Avec un peu de chance, il pourrait tomber sur un superbe La Chine dans un miroir (La Guilde du livre, 1953), ses Clefs pour la Chine (1953) ou, ce qui ne m'est toujours pas arrivé, Le Voyage en Chine (1965), Histoires et légendes de la Chine mystérieuse (1969), voir le plus récent opus consacré à Su Dongpo (1037-1101), L'Ami qui venait de l'an mil (Gallimard, "L'un et l'autre", 1994).


Dans une note critique consacré à Sur la Chine, Simon Leys (La forêt en feu, 1983) écrivait ceci : "Alors que toute notre intelligentsia a versé des flots d'encre à propos de la Chine, il est significatif de noter que deux hommes seulement - Etiemble tout récemment (Quarante Ans de mon maoïsme, Gallimard, 1976) et maintenant Claude Roy - peuvent fièrement remettre aujourd'hui sous les yeux du public ce qu'ils écrivaient hier sur ce sujet", et il continuait " Quant aux autres, l'idée de réimprimer leurs essais chinois ne pourrait venir qu'à leurs ennemis - si cruelles que puisse être une telle initiative, il faudra quand même que quelqu'un se charge un jour de compiler ces tristes anthologies-là !". Le propos est toujours juste en cette année 2005, année qui voit justement la réédition du Des chinoises (1974) de Julia Kristeva (Pauvert, 2005).

Ayant eu le bonheur de tomber récemment sur un exemplaire des Clefs pour la Chine (44e édition, 1959) pour 5 € seulement (!), je tenais à faire partager mon plaisir face à certains passages particulièrement savoureux.

L'ouvrage date de 1953 (Gallimard, 353 pages). Claude Roy l'a publié à son retour d'un voyage dans le pays qu'il rêvait de visiter depuis qu'enfant, à douze ans, il avait lu Les tribulations d'un Chinois en Chine de Jules Verne. Il est dédié à "Kuo Mo-Jo [Guo Moruo (1892-1978)] de Chine et à Yves Farge [(1899-1953)] de France".

Les deux (premiers) extraits sont tirés su chapitre II : "Le quart des hommes vivants". Ils donneront une petite idée de l'humour piquant de ce texte qui était "animé par deux sentiments chalereux : l'amitié pour les Chinois, et l'espoir dans leur révolution", pour emprunter à nouveaux à Simon Leys.

II.2 : Les Français ont peut-être quelques raisons d'orgueil : mais sûrement pas celle qui consisterait à répéter allègrement : nous ne sommes que quarante millions. L'important, ce n'est pas le total qu'additionne le statisticien, mais la valeur de chacune des unités qu'il brasse. La Chine est un des pays où la densité d'habitants est la plus grande. Je sais désormais que c'est aussi un des pays où la qualité humaine est la plus dense. Le monde est sauvé par les meilleurs. Tant mieux s'ils sont des millions. Des milliards. Etre beaucoup, ce n'est pas un péché originel.

II.3 : La psychologie des peuples est une sorcellerie péremptoire. Elle procède comme les oracles : par affirmations sans clefs. Il est entendu que le Chinois (le Chinois) est un magot pansu, fataliste, indifférent aux supplices et à la mort, qui prolifère, se nourrit de riz, de thé et d'opium, hait les étrangers, vend ses enfants à bas prix, etc. Les voyageurs compulsent gravement le petit Dictionnaire des idées reçues sur la Chine, où ils vont puiser toute leur science. J'en reconstitue quelques articles sans effort : ACUPUNCTURE : Supplice chinois et médical : aiguilles qu'on enfonce dans le nez pour chatouiller la rate. BAMBOU : Arbre utilisé par les : I° peintres (voir ART) ; 2° bourreaux (voir SUPPLICES) ; 3° fabricants de paravents (voir ARTISANS). BRIGANDS (Tous les Chinois sont des -). COOLIES (Tous les Chinois sont des -). DETECTIVES (les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni mandarins sont détectives. Cf. Le Mystérieux Docteur Fu Man Chu). JAUNE (Le Péril -). KIDNAPPING, du Chinois KHI-DNHAH-PING : Sport national chinois. MANDARINS (les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni cuisiniers, ni blanchisseurs, ni détectives sont -). PAGODE : Habitation usuelle des Chinois. PALANQUIN (Les Chinois se déplacent en -). PIEDS (Les Chinois ont de petits -). REBELLES (Les Chinois qui ne sont ni brigands, ni coolies, ni cuisiniers, ni blanchisseurs, ni détectives, ni mandarins sont -) Voir PAVILLONS NOIRS, TAÏPING, ROUGES, etc.) VIE HUMAINE (Les Chinois sont indifférents à la -).
Il est sans doute plus prudent de poser comme définition première des Hans un signalement anthropométrique aussi précis et sec que possible : branche de la race mongole, brachycéphales, peau jaune, cheveux noirs, barbe peu développée, yeux noirs remontant obliquement vers les tempes, larges narines, visage rond, taille petite, un peu plus élevée dans le Nord, etc.

jeudi 19 mai 2005

Opération Confucius

Lors du "Point presse" du 11 mai 2005, au cours duquel il a présenté son "Plan d'action sur la lutte contre l'immigration irrégulière", Monsieur le Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales a évoqué les succès déjà remportés par la coopération européenne dans le cadre de l'"Opération Confucius" !
Intrigué, j'ai cherché à en savoir un peu plus sur cette opération placée sous le patronage du grand penseur humaniste.

Curieusement, le web n'est guère prolixe sur cette arme prometteuse. La seule référence précise trouvée à ce jour est fournie par Any Bourrier dans une intervention mises en ligne le 3 mai dernier après sa diffusion sur Radio France Internationale.
La journaliste rappelle à juste titre qu'en France, "l’immigration clandestine en provenance de la Chine a explosé ces dernières années. Les ressortissants chinois sont aujourd’hui la première nationalité représentée dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy. En 2003, sur près de 12 000 étrangers arrêtés à la frontière 4 000, soit environ 35%, provenaient de l’Empire du milieu.
Pourquoi des Chinois ? Parce que, malgré une croissance annuelle de 9%, le développement économique de la Chine a cassé les anciennes structures qui garantissaient un minimum vital pour les salariés. La transition à l’économie de marché a ainsi engendré une forme d’immigration issue des couches sociales qui ont perdu leur travail en raison de la fermeture des entreprises d’Etat déficitaires.
Cette immigration inquiète particulièrement les autorités françaises. L’économie souterraine développée par une partie de la communauté chinoise est source d’évasion fiscale dont le montant donne le vertige aux responsables du Budget. Les enquêtes les plus récentes ont démontré qu’environ 500 000 euros prendraient chaque jour le chemin de la Chine en empruntant des trajets bancaires complexes ou clandestins. Selon le ministère de l’Intérieur, à l’origine de telles sommes, on trouve des membres de la communauté chinoise de France, forte de 300 000 personnes.
L’ancien Ministre de l’Intérieur Nicolas
Sarkozy s’est concerté avec Pékin pour combattre ce fléau. En 2003, lors de son voyage officiel en Chine, il a signé deux accords de coopération policière avec les autorités chinoises afin d’améliorer la lutte contre le crime organisé.
Mais les mafias originaires de Chine ne sévissent pas qu’en France. Leur implantation est aujourd’hui européenne. Surnommées les
Triades, elles ont fait du Vieux continent leur terrain privilégié pour y exercer toute sorte d’activités illicites : trafic de drogue, prostitution, jeu et, désormais, le contrôle des filières de l’immigration clandestine. Parmi elles, la 14K, d’origine cantonaise ou la Sun Tee On, la plus grande organisation clandestine de Hong Kong. La puissance de ces gangs aux ramifications internationales s’étend dans les «Chinatowns» de tout le continent. De Londres à Paris, en passant par Amsterdam, Madrid ou Berlin, pas une grande capitale européenne n’échappe à leur emprise.
Aujourd’hui, l’Europe dispose d’un plan de lutte contre les
Triades qui s’appelle «Opération Confucius». Mais la lutte contre leurs dérives sera complexe car l’une des caractéristiques de ces sociétés secrètes est leur opacité."

Il me semble que pour obtenir les résultats souhaités l'opération aurait dû se placer sous une autre bannière. Je propose de remplacer l'humaniste Confucius par le légiste Shang Yang (mort en 338 av. J.-C. et humoristiquement croqué ici par les dessinateurs de Qi Cartoon) et dont les écrits (Shangjun shu) sont à nouveau disponibles dans la traduction de Jean Lévi (1981) sous le titre Le Livre du Prince Shang (Flammarion, 2005).