vendredi 1 avril 2005

Délicatesse chinoise

Dans La Sagesse de Confucius que je découvre en ce moment, Lin Yutang parle avec beaucoup d'enthousiasme des traductions de GU Hongming 辜鴻銘 (1857-1928) alias Kou Houng Ming, Kou-Houng-Ming ou Ku Hung-Ming, citant un ouvrage de lui que je n'ai pas encore réussi à trouver, intitulé La conduite de la vie. La référence complète serait Ku Hung Ming, The Conduct of Life: A Translation of the Doctrine of the Mean, Londres : John Murray, 1906).

J'avais à l'époque de sa réédition aux Editions de l'Aube (1996) manqué
L'esprit du peuple chinois (Traduit de l'anglais de P. Rival) qu'il composa en 1915. Il est maintenant épuisé, ce dont on pourrait se réjouir tant l'ouvrage est problématique par bien des aspects et un rien désuet. Je me rattrape en le lisant dans une édition originale (Paris : Stock, 1927) achetée à L'Opiomane. En voici un avant-goût tiré de la préface de l'auteur :

Les Américains, qu'on me permette de le dire, ne comprennent pas facilement les Chinois parce que si, dans l'ensemble, ils ont l'esprit étendu et simple, ils manquent de profondeur. Les Anglais ne peuvent pas comprendre la Chine : leur esprit est profond et simple mais il manque d'étendue. Les Allemands, eux non plus, ne peuvent pas nous comprendre car, surtout lorsqu'ils sont cultivés, ils possèdent la profondeur et l'étendue, mais n'ont pas la simplicité. Je crois que ce sont les Français qui ont le mieux compris les Chinois, qui sont le plus aptes à apprécier la civilisation chinoise. Les Français, il est vrai, n'ont pas la profondeur des Allemands, ni la largeur d'esprit des Américains ni la simplicité des Anglais ; mais ils ont à un degré tout à fait supérieur une qualité qui manque aux trois autres peuples que nous avons mentionnés, une qualité nécessaire avant tout pour comprendre la Chine, c'est la délicatesse. Car aux trois traits principaux de la civilisation chinoise, je dois en ajouter un quatrième, la délicatesse, qui est le plus caractéristique. Cette délicatesse, les Chinois la possèdent à un degré si éminent qu'on n'en trouve nulle part l'équivalent, excepté peut-être chez les anciens Grecs.
D'après ce que j'ai dit, on peut comprendre que les Américains, s'ils étudient la civilisation chinoise, manqueront de profondeur, que les Anglais manqueront de largeur d'esprit, et les Allemands de simplicité et qu'en outre ces trois peuples manqueront d’une qualité qu'ils ne possèdent pas à un degré éminent : la
délicatesse. Quant aux Français, ils manqueront tout à la fois de profondeur, de largeur d'esprit et de simplicité ; ils manqueront même d'une certaine délicatesse d'un ordre encore supérieur à celle qu'ils possèdent actuellement. Aussi, je suis amené à penser que l'étude de la civilisation et de la littérature chinoises sera certainement profitable à tous les peuples d'Europe et d'Amérique.

Le préfacier, l'écrivain et historien antifasciste italien, Guglielmo Ferrero (1871-1942), a trouvé une jolie formule pour parler de Gu Hongming. C'est, écrit-il, un "fort révulsif moral", qui "connaît ce qu'il déteste", pour avoir longtemps vécu en Europe. C'est, ajoute-t-il, un "Vieux-Chinois" ; c'est-à-dire un traditionaliste, un fidèle de l'ancienne Chine monarchiste et confucienne (sic !), un ennemi de l'occident et de la civilisation occidentale", dont l'érudition bien qu'excetionnelle, "présente certaines lacunes et imperfections". Toujours très mesuré dans sa critique, Ferrero ne peut faire moins que de l'accuser de "simplifier trop en parlant de notre histoire", et pour résumer de forcer le trait. Il conclut son intervention par ces deux phrases qui laisse dubitatif : "Je recommande la lecture de ce petit livre lumineux et profond. Il a été écrit par un Chinois qui, au fond de son âme, considère les Européens et les Américains comme des barbares ; et son esprit critique a été aiguisé encore davantage par les malheurs de son pays."

De son côté, Lin Yutang fait l'éloge de la traduction par Gu du Zhongyong (Invariable Milieu), qu'il reprend dans sa Sagesse de Confucius :

"[Elle] est si brillante et si pénétrante qu’il est regrettable qu’il n’en ait pas fait d’autre, car elle rend la pensée de Confucius parfaitement intelligible à l’homme moderne. Toutefois, j’ai jugé préférable de supprimer son propre commentaire qui fait appel à Goethe [(1749-1832)], Matthew Arnold [(1822-1888)] et aux « Livre des Proverbes »de la Bible pour élucider le sens de cette philosophie. ... Je me suis permis également d’apporter quelques corrections aux passages où Gu s’écarte du texte chinois ; en outre, je ne souscris pas au plan qu’il a adopté pour ce chapitre et j’y ai substitué le mien. D’une façon générale, je me suis abstenu de tout commentaire et je me suis borné à établir des subdivisions munies de titres capables de guider le lecteur dans l’exposition et le développement des idées. Mais les commentaires sont implicitement contenus dans la traduction et je considère une traduction de ce genre comme une sorte de commentaire, car il ne peut y avoir de traduction intelligente si le traducteur ne cherche pas à interpréter le texte. Cette remarque vaut tout spécialement pour une traduction d’un texte chinois ancien en anglais moderne. Premièrement, les mots employés ont forcément une signification générale très différente, et en second lieu les textes anciens, bien qu’extrêmement nets et concis, revêtent par endroits un caractère ambigu, si bien qu’il faut ajouter des mots de liaison et d’autres, indispensables à la syntaxe d’une langue occidentale. En outre, les interprétations chinoises du même texte varient profondément, de sorte que le traducteur doit faire son choix ou proposer la sienne, lorsqu’il est sûr d’avoir une conception nouvelle du sujet. Je me suis donc abstenu de commentaires à la manière de Gu Hongming, sauf lorsqu’ils étaient absolument nécessaires à la compréhension de certaines idées et de certains termes."

Mais Gu n'était pas qu'un conservateur raciste, c'était aussi un amateur de pieds bandés. Mais, on en reparlera un de ces jours prochains.

Aucun commentaire: