samedi 22 janvier 2005

Comptes rendus

Dans son compte rendu (injustement) assassin de la traduction du Huainanzi (Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 2003), Jean-François Billeter (Etudes chinoises, vol. XXIII, p. 461-2) livre chemin faisant des considérations très pertinentes sur ce que risque de devenir les études chinoises :

"Les sinologues devraient combattre ce mythe de la Chine "autre" parce qu'il est en lui-même une régression intellectuelle et parce qu'il menace les études chinoises. L'étude du passé chinois est en train de tomber en déshérence dans nos meilleures institutions parce qu'elle apparaît de plus en plus comme une occupation dénuée de sens pour les étudiants. L'étude de la Chine doit cesser d'être une fin en soi. Il faut que les sinologues exercent publiquement leur jugement et fassent savoir pourquoi ils estiment que tel ouvrage mérite d'être connu du public, ou ne le mérite pas : qu'au lieu de justifier son intérêt par le seul fait qu'il est chinois, ils le présentent comme un élément important de l'histoire humaine, saisie dans son unité ; et qu'ils renouvellent pour cela leurs façons de présenter les oeuvres, et d'abord de les traduire."

Voilà qui rappelle ce qu'il écrivait déjà en 1998 dans ses Mémoires sur les études chinoises à Genève et ailleurs ouvrage malheureusement fort difficile à trouver car édité par l'auteur lui-même. Je me contente de reprendre le conseil qu'il donne aux sinologues pour "sortir de l'actuel cercle vicieux" :

"Il faudrait des sinologues qui aient pour vocation principale de s'adresser non pas aux autres sinologues mais au public et, pour commencer, au public étudiant des facultés de lettres et de sciences humaines."


De son côté Jean Lévi avec qui il féraille dans les pages de ce même volume d'Etudes chinoises livre aux Editions de l'Encyclopédie des nuisances (Paris, 2004), un bien attirant Eloge de l'anarchie par deux excentriques chinois.

Il ne faut surtout pas manquer de lire l'"Avertissement" dans lequel Jean Lévi écrit qu'il lui a "paru intéressant de livrer au public français non sinologue quelques témoignages des débats politiques véhéments qui agitaient les milieux lettrés, dans une Chine en pleine effervescence intellectuelle" (p. 8), car un peu plus loin, il envoie une pique au professeur à l'Université Paris-7 - Denis-Diderot, Membre senior de l'Institut universitaire de France (promotion 2001), Directeur du Centre Marcel-Granet, également directeur de l'Institut de la Pensée contemporaine, assumant en même temps la direction de la collection "Orientales" aux Presses universitaires de France :

"On y voit des doctrines antagonistes s'affronter, non pas en procédant par insinuations ou incitations, comme le veut un François Jullien, mais en exposant de façon claire et raisonnée des arguments et en tentant de réfuter point par point les thèses de l'adversaire." (P; 9)

Bien envoyé, certes, mais sans conséquence puisque ce livre déjà indispensable passera sans doute inaperçu du "grand public cultivé" quand "le dernier Jullien" avec son titre accrocheur - Nourrir sa vie. A l'écart du bonheur (Seuil, 2005, 180 p.), lequel bénéficie déjà d'une promotion dans les colonnes du Monde des Livres du 21 janvier (p. 10), va sûrement se vendre comme des petits pains.

Dommage car son projet est on ne peut plus stimulant.
Le voici résumé par Jean Lévi : "Pour divers que soient les jugements qu'ils portent sur l'essence de la civilisation chinoise, il est deux points sur lesquels les spécialistes s'accordent. Le premier est que la Chine n'a jamais connu ni même imaginé qu'une seule forme de gouvernement, et le second que le débat d'idées tel qu'il se pratique en Occident depuis les Grecs n'y avait pas cours. Les traductions des trois polémiques que nous présentons ici ont pour premier objet d'apporter un démenti à ces assertions. "

J'enrage : une pile de copies à corriger, une foule de mails à écrire, un dossier à remplir, un colloque à suivre et mille autres choses vont me retenir de plonger dans la lecture de ces débats présentés en trois volets :
I. De l'inutilité des princes.
II. Sur le caractère inné du goût pour l'étude.
III. Des effets nocifs de la société sur la santé.


Beau programme.

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