samedi 25 novembre 2006

Le retour de Li Si

Li Si 李斯 est de retour. Certes, le Li Si qui fait parler de lui ces derniers temps n'est pas celui qui étudia en compagnie de Han Fei 韓非 sous la férule du grand Xunzi 荀子 avant d'aller à Qin 秦 pour y devenir le redoutable Premier ministre du roi Zheng 政 qu'il aida à conquérir les principautés voisines pour unifier la Chine, avant de finir tronçonné à la taille en 208 av. J.-C. Ce n'est pas celui qui est à l'origine de l'autodafé par lequel Qin Shihuang 秦始皇, le Premier Empereur, proscrivit, en - 213, la possession privée d'un certain nombre d'ouvrages, parmi lesquels les Classiques du confucianisme, comme le raconte Sima Qian 司馬遷 dans le Shiji 史記 (Mémoires historiques. Traduction d'Edouard Chavannes (1865-1918), numérisée ici par Pierre Palpant : pour le passage en question, voir tome 2, p. 57-58) :

Le conseiller, votre sujet (Li) Se, se dissimulant qu’il s’expose à la mort, dit : Dans l’antiquité, l’empire était morcelé et troublé ; il ne se trouvait personne qui pût l’unifier ; c’est pourquoi les seigneurs régnaient simultanément. Dans leurs propos, (les lettrés) parlent tous de l’antiquité afin de dénigrer le temps présent ; ils colorent des faussetés afin de mettre la confusion dans ce qui est réel : ces hommes font valoir l’excellence de ce qu’ils ont appris dans leur études privées afin de dénigrer ce qu’a institué Votre Majesté. Maintenant que le souverain empereur possède l’empire dans son ensemble, qu’il a distingué le noir du blanc et qu’il a imposé l’unité, ils mettent en honneur leurs études privées et tiennent des conciliabules. Ces hommes qui condamnent les lois et les instructions, dès qu’ils apprennent qu’un édit a été rendu, s’empressent de le discuter chacun d’après ses propres principes ; lorsqu’ils sont à la cour, ils désapprouvent dans leur for intérieur ; lorsqu’ils en sont sortis, ils délibèrent dans les rues ; louer le souverain, ils estiment que c’est (chercher) la réputation ; s’attacher à des principes extraordinaires, ils pensent que c’est le plus haut mérite ; ils entraînent le bas peuple à forger des calomnies. Les choses étant ainsi, si on ne s’y oppose pas, alors en haut la situation du souverain s’abaissera, tandis qu’en bas les associations se fortifieront. Il est utile de porter une défense. Votre sujet propose que les histoires officielles, à l’exception des Mémoires de Ts’in, soient toutes brûlées ; sauf les personnes qui ont la charge de lettrés au vaste savoir, ceux qui dans l’empire se permettent de cacher le Che (king) [Shijing], le Chou (king) [Shujing], ou les discours des Cent écoles, devront tous aller auprès des autorités locales civiles et militaires pour qu’elles les brûlent. Ceux qui oseront discuter entre eux sur le Che (king) et le Chou (king) seront (mis à mort et leurs cadavres) exposés sur la place publique ; ceux qui se serviront de l’antiquité pour dénigrer les temps modernes seront mis à mort avec leur parenté. Les fonctionnaires qui verront ou apprendront (que des personnes contreviennent à cet ordre), et qui ne les dénonceront pas, seront impliqués dans leur crime. Trente jours après que l’édit aura été rendu, ceux qui n’auront pas brûlé (leurs livres) seront marqués et envoyés aux travaux forcés. Les livres qui ne seront pas proscrits seront ceux de médecine et de pharmacie, de divination par la tortue et l’achillée, d’agriculture et d’arboriculture. Quant à ceux qui désireront étudier les lois et les ordonnances, qu’ils prennent pour maîtres les fonctionnaires. Le décret fut : « Approuvé. »

Non, celui qui a choisi ce nom si longtemps détesté, celui qui fait dresser les cheveux sur la tête de Xu Jiajun 許嘉俊, journaliste au Wenhui dushu zhoubao 文匯讀書周報, a beaucoup moins à se faire pardonner que le pourfendeur des confucéens d'antan. En effet, loin d'avoir fait brûler des livres, il signe une entreprise de multiplication de textes, devenant du coup le chantre de la traduction du chinois au chinois “中譯中” en signant seul la traduction chinoise d'une pléthorique collection publiée en octobre 2006 à Changchun (Province de Jilin) par les éditions Shidai wenyi 時代文藝, ensemble composé de 26 tomes intitulé Nuobei'er wenxuejiang wenji 諾貝爾文學獎文集 soit Collection d'œuvres des Prix Nobel de Littérature, vaste choix qui implique des écrivains issus de pas moins de 12 pays différents.

A en croire Xu Jiajun, lequel dénonce par ailleurs le plagiat éhonté d'un ouvrage consacré par le même homme à la Beat Generation, Li Si s'est contenté de reprendre en les modifiant très légèrement, voire même fautivement, des traductions déjà existantes. Il a donc, sinon inventé, pour le moins abondamment pratiqué, la traduction à valeur négative dépassant par le bas le degré zéro de la traduction. Bien évidemment, les romans de Gao Xingjian n'ont pas été intégrés dans ce choix. Si cela avait été possible, Li Si les aurait sans aucun doute dûment "traduits".

Le site Danwei offre sur ce sujet la traduction d'articles, ainsi que les liens dirigeant vers quelques uns des articles chinois qui ont révélé et commenté l'escroquerie (>> ici <<).

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