vendredi 24 novembre 2006

Adonaissant

Le 26 mai 2005, je m'en prenais, un peu rapidement et sans trop y réfléchir, aux dérapages de mes étudiants d'alors en relevant quelques-uns de leurs écarts de langages, "perles" d'une session d'examens assez banale. J'avais alors noté ce passage :

... l'héroïne adonaissante se voit contraint de se marier à un enfant de deux ans. ...

Je dois reconnaître aujourd'hui qu'il y avait dans cet enrichissement lexical, sans doute involontaire, une géniale intuition. C'est ce dont je me suis rendu compte en découvrant en librairie le dernier opus de François de Singly qui porte justement pour titre Les adonaissants (Armand Colin, "Individu et Société", 2006. Voir la Table des matières) ouvrage destiné à un "public cultivé" selon l'éditeur. Le commentaire suivant explique comment l'auteur entend le concept qu'il a forgé et qu'il compte bien faire accepter à la communauté savante :

L'adonaissance, voici une notion nouvelle et nécessaire pour désigner cette réalité moderne : les jeunes grandissent plus tôt et différemment. Les adultes le comprennent mal et ne savent pas comment y faire face. .../... Les jeunes n'attendent plus la "crise d'adolescence" pour s'affirmer. Ils le font dès l'entrée au collège, dès 10-11 ans. Mais attention ! .../... Ces adonaissants ne se donnent pas le mot pour être des "tyranneaux domestiques" commandant des parents sans autorité. Plutôt bien intégrés dans la vie de famille et ses contraintes, ils s'individualisent en douceur, ils s'émancipent en prenant appui sur les codes culturels de leur génération. Ils sont déjà "ailleurs" quand on les croit encore "là". Ils apprennent à avoir un certain pouvoir sur eux-mêmes. Alors comment se comporter face à ce mouvement d'individualisation précoce qui peut créer un réel désarroi, un sentiment de perte d'emprise des parents sur leurs adonaissants ? Comment accompagner sans intrusion, comment respecter l'exigence d'autonomie sans s'installer dans une sorte d'apartheid - adultes d'un côté, enfants de l'autre - qui couperait court à toute possibilité de transmission ?

De fait, autant qu'on puisse en juger en interrogeant le net, le terme connaît un rapide succès. Déjà les blogueurs s'en sont emparés (voir ici, ou encore ) et il figure dorénavant dans le vocabulaire des participants à toutes sortes de forums (comme ici, , ou encore ) et aussi des journalistes (ici et ), voire même des "critiques littéraires" (ici). Pourtant, le terme, et son dérivé adonaissance, n'est guère plus séduisant que le préado et la préadolescence d'antan. Si son créateur l'a préféré à adonescent et adonescence, c'est sans doute pour éviter de marcher sur les plates-bandes des inventeurs de l'horrible "adulescent", terme douteux apparu dans la foulée du disgracieux "bobo", du grossier "papyboomer" et du repoussant "célibattante" ! Certes, il n'y a pas de quoi faire un fromage.

En illustration : La Charité (ap. 1536) tableau attribué selon les époques à Lucas Cranach le Vieux (1472-1553) ou à Lucas Cranach le Jeune (1515-1586)

Complément du 03/02/07 :

Il est motivé par la lecture de Bardadrac (Editions du Seuil, "Fiction & Cie", 2006, 453 p.) dans lequel Gérard Genette dresse une liste de quelque 150 "mots-chimères" [pp. 287-295] dont "Adonaissant. Pré-ado" et "Adulescent. Post-ado" (p. 289). Page 288, il explique le pourquoi de cette appellation :

Mot-chimère, puisqu'une chimère est un monstre produit par greffe - tête de lion sur corps de chèvre, etc. On pourrait aussi bien, ou pas plus mal, les qualifier de mots écrasés, mais ne prenons pas trop de risques inutiles.

La liste commence par Abbécédaire. Précepteur ecclésiastique ; Accro-alimentaire. Boulimique incurable et accumule les trouvailles telles que : Anarchiviste. Bibliothécaire bordélique ; Anarcisse. Libertaire égocentrique ; Maîtronome. Chef d'orchestre exclusivement respectueux du tempo ; Réciproquo. Double méprise ou encore Sarkome. Tumeur à droite.

Pour ma part, je propose : Japoniaise pour Vedette de la télévision nippone, mot-chimère qui a naturellement son masculin Japoniais.

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