mercredi 23 août 2006

Perles estivales (3)

"Perles estivales" - suite et peut-être fin, avec ce poème de Georg Trakl (1887-1914) découvert voici plus de vingt ans dans la version d'Anton Webern (1883-1945), opus 13, 4 (composée en 1918, revue en 1922) et qui me frappe toujours avec la même force :
Ein Winterabend

Wenn der Schnee ans Fenster fällt,
lang die Abendglocke laütet,
vielen ist der Tisch bereitet
und das haus ist wohl bestellt.

Mancher auf der Wanderschaft
kommt ans Tor auf dunklen Pfaden.
Golden blüht der Baum der Gnaden
aus der Erde kühlem Saft.

Wanderer tritt still herein ;
Schmerz versteinerte die Schwellen.
da erglänzt in reiner Helle
auf dem Tische Brot und Wein.



Il date de 1913. A la même date, Trakl confie à un de ses amis : "Je vis entre la fièvre et l'évanouissement, dans des chambres ensoleillées où il fait un froid indicible. Etranges frissons de métamorphose, ressentis dans mon corps à la limite du supportable, vision de ténèbres, avec la certitude d'être mort, extases jusqu'à une fixité de pierre ; et continuation de rêves trsites." ; "Ces derniers temps j'ai englouti une mer de vin, de schnaps et de bière." ; "Je me sens presque déjà de l'autre côté." [Traduction Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Georg Trakl, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, “Du monde entier”, 1972]. L'année suivante, Trakl, né le 3 février 1887, à Salzbourg, meurt d'une paralysie cardiaque due à l'absorption de cocaïne. Il avait vingt-sept ans.

Je ne sais s'il existe une traduction idéale de ce poème. En voici trois qui tombent d'accord sur le traduction du titre : “Un soir d’hiver

Quand tombe la neige contre la fenêtre/Et sonne longuement la cloche du soir,/Pour beaucoup la table est mise/Et la maison est bien pourvue.//Plus d’un, parti en voyage,/Arrive aux portes par d’obscurs chemins./L’arbre de la Grâce fleurit, d’or,/Nourri du suc frais de la terre.//Le voyageur entre en silence ;/La douleur a pétrifié le seuil./Alors s’allument dans une clarté pure/Sur la table pain et vin.

(Traduction Marc Petit et Jean-Claude Schneider, op. cit., p. 100).


Quand il neige à la fenêtre,/Que longuement sonne la cloche du soir,/Pour beaucoup la table est mise/Et la maison est bien pourvue.//Plus d'un qui est en voyage/Arrive à la porte sur d'obscurs sentiers./D'or fleurit l'arbre des grâces/Né de la terre et de sa sève fraîche.//Voyageur entre paisiblement ;/La douleur pétrifié le seuil./Là resplendit en clarté pure/Sur la table pain et vin.

Traduction François Fédier in Martin Heidegger, Acheminement vers la parole (traduction de Unterwegs zur Sprache (1959) par Jean Beaufret, Wolfgang Brokmeier, François Fédier). Paris : Gallimard, "Tel", n° 55 (1976) 1981: "La parole" ("Die Sprache", trad. F. Fédier, pp. 11-37), p. 37.


Lorsque la neige aux vitres frappe,/ Que l'angélus longuement sonne,/ La table est mise pour beaucoup/ Et la maison est bien garnie.// Maint compagnon en cours d'errance/ Arrive par d'obscurs chemins./ L'arbre de grâce a des fleurs d'or/ Puisées au suc frais de la terre.// Le voyageur entre en silence ;/ La douleur pétrifia le seuil./ Et l'on voit luire sur la table/ Clair et pur le pain et le vin.

Traduction de Jacques Legrand, in Georg Trakl, Poèmes majeurs. Paris : Aubier, "Domaine allemand" bilingue, 1993, p. 209 et Georg Trakl, Poèmes II (Poèmes majeurs). Paris : GF, (1993) 2001, p. 209.

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