Au chapitre XXXI, l'essai de la bague sur la jument du sultan produit un charabia que Mangogul fait consigner, puis trente de faire traduire .... "Le prince en fit distribuer sur-le-champ des copies à tous ses interprètes et professeurs en langues étrangères, tant anciennes que modernes. L'un dit que c'était une scène de quelque vieille tragédie grecque qui lui paraissait fort touchante ; un autre parvint, à force de tête, à découvrir que c'était un fragment important de la théologie des Égyptiens ; celui-ci prétendait que c'était l'exorde de l'oraison funèbre d'Annibal en carthaginois ; celui-là assura que la pièce était écrite en chinois, et que c'était une prière fort dévote à Confucius. Tandis que les érudits impatientaient le sultan avec leurs savantes conjectures, il se rappela les Voyages de Gulliver, et ne douta point qu'un homme qui avait séjourné aussi longtemps que cet Anglais dans une île où les chevaux ont un gouvernement, des lois, des rois, des dieux, des prêtres, une religion, des temples et des autels, et qui paraissait si parfaitement instruit de leurs moeurs et de leurs coutumes ; n'eût une intelligence parfaite de leur langue. En effet Gulliver lut et interpréta tout courant le discours de la jument malgré les fautes d'écriture dont il fourmillait. C'est même la seule bonne traduction qu'on ait dans tout le Congo. Mangogul apprit, à sa propre satisfaction et à l'honneur de son système, que c'était un abrégé historique des amours d'un vieux pacha à trois queues avec une petite jument, qui avait été saillie par une multitude innombrable de baudets, avant lui ; anecdote singulière, mais dont la vérité n'était ignorée, ni du sultan, ni d'aucun autre, à la cour, à Banza et dans le reste de l'empire." (p. 113. ou >>x<< ) Plus loin (chap. XLII, p. 163), Diderot livre par la bouche de Bloculocus une réflexion définitive sur la traduction : "Il n'est pas nécessaire d'entendre une langue pour la traduire, puisque l'on ne traduit que pour des gens qui ne l'entendent point." |
Pour lire tout (ou presque tout) Diderot sans sortir de chez soi, les Œuvres complètes telles qu'elles furent établies en 1875 (Garnier frères) sont accessibles en ligne sur le site de la BNF avec des accès rapides à partir d'une table fort pratique. Les Bijoux indiscrets figurent au Tome 4 (pp. 130-378) précédés d'une "Note préliminaire" [pp. 133-138] fort instructive qui commence par cette mise en garde : "Voici un livre qui a été bien discuté, et qui, nous le comprenons de reste, n'a pas le droit d'être publié autrement que dans une collection d'œuvres complètes, où il est comme noyé et trouve immédiatement son correctif." |
Finalement, c'est seulement avec le vingt-sixième essai de l'anneau (Chapitre XLVII) que Diderot décrit plus crûment les ébats de ses personnages. Comble de l'ironie, il fait parler le bijou polyglotte de Cypria successivement en anglais pour ses aventures londoniennes, en latin pour les épisodes allemand et autrichien, en italien pour ses frasques romaines, pour finir "sur un ton moitié congeois et moitié espagnol" et conclut ainsi :
"L'auteur africain finit ce chapitre par un avertissement aux dames qui pourraient être tentées de se faire traduire les endroits où le bijou de Cypria s'est exprimé dans des langues étrangères.
« J'aurais manqué, dit-il, au devoir de l'historien, en les supprimant ; et au respect que j'ai pour le sexe, en les conservant dans mon ouvrage, sans prévenir les dames vertueuses, que le bijou de Cypria s'était excessivement gâté le ton dans ses voyages ; et que ses récits sont infiniment plus libres qu'aucune des lectures clandestines qu'elles aient jamais faites. »"
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