jeudi 28 juillet 2005

Fridolin klappte das Buch zu

Grosses chaleurs + surcharge de travail = le cocktail idéal pour vous pourrir un été. Quand la pression est trop grande rien de tel qu'une petite pause. Certes plage et sorties contribuent à entretenir chez l'intello en surchauffe un meilleur équilibre mental, mais il n'en reste pas moins que la lecture est pour lui un moyen encore plus efficace de purger un cerveau saturé, de l'aérer, ou de lui fournir un peu de carburant frais.

L'année dernière, confronté aux mêmes conditions (aggravées par la solitude, mais plus libre de casser les routines), j'avais ressorti Les Souffrances du jeune Werther (1774). Pour la énième fois depuis trente ans (!), j'avais relu des tronçons de ce joyau du jeune Goethe (25 ans).
Le parcourant aujourd'hui, je suis toujours ravi d'y trouver matière à émerveillement, comme ce passage de la lettre du 22 mai qui commence par "La vie humaine est un songe : d'autre l'ont dit avant moi, mais cette idée me suit partout." : "Que les enfants ne connaissent pas les causes de leurs désirs, c'est ce que les pédagogues ne cessent de répéter ; mais que les hommes faits soient de grands enfants qui se traînent en chancelant sur ce globe, sans savoir non plus d'où ils viennent et où ils vont ; qu'ils n'aient point de but plus certain dans leurs actions, et qu'on les gouverne de même avec du biscuit, des gâteaux et des coups de bâton, c'est ce que personne ne voudra croire ; et, à mon avis, il n'est point de vérité plus palpable." Bon, mais passons.

Cette année, c'est un Viennois (plutôt deux car
Alban Berg (1885-1935) est de la partie avec sa Lyrische Suite composée en 1925 et 1926 que j'écoute désormais dans sa version avec soprano), un Viennois, donc, qui a ponctué la rédaction de mes deux derniers chapitres d'un cours sur la littérature chinoise ancienne à envoyer le 1er septembre au plus tard à l'IAEU (Instituto de Altos Estudios Universitarios, Barcelone),
Il s'agit d'Arthur Schnitzler (1862-1931) et de sa nouvelle la plus connue (?) intitulée "La nouvelle rêvée" ou "Traumnovelle" qu'il acheva "en 1926, après une genèse de dix-sept ans", soit la même année que l'œuvre de Berg ! Etrange coïncidence !

Pourquoi ce choix ? Sans doute l'influence d'un article paru ces dernières semaines dans Le Monde des livres et puis l'envie, déjà ancienne, de lire cet auteur et la source d'un film qui a beaucoup fait parler de lui (Eyes Wide Shut (1999) de S. Kubrick) - film que je n'ai toujours pas vu, plusieurs études critiques forts savantes sur Schnitzler et la Vienne des années 20, etc. Il n'en reste pas moins, que même sans préparation, ou motivation, le résultat aurait, assurément, été le même : un choc.

L'effet produit sur moi par ce texte est tel que je ne saurais encore en évaluer la portée véritable, ni la durée : j'en ressors avec des sentiments mêlés (certains bien trop intimes pour être "blogués")... et celui, plus trivial, qui s'est révélé après coup de ne pas avoir encore rencontré en vingt ans de pratique assidue de la littérature chinoise d'équivalent chinois de ce texte-là ! En découle l'idée saugrenue (?) et certainement passagère d'avoir fait sinon fausse route, au moins un bon de bout de chemin à vide, et d'avoir consacré beaucoup trop de temps à lire, traduire et étudier des 'fariboles'. Certes, la littérature chinoise m'a apporté beaucoup de satisfactions mais jamais je n'ai ressenti avec la même force l'impression de proximité avec un auteur, d'intimité avec une culture, une sensibilité, un univers artistique et mental. Au bout du compte en ressort une évidence : je ne suis pas Chinois ! ...

Ni Viennois du reste, car il me faut encore - et là aussi pour toujours ! -, passer par la traduction ... quel dommage, car la langue de Schnitzler est, d'après ce que je peux en juger, d'une grande efficacité :

Voici le début de la nouvelle dans la version originale d'abord, ...

»Vierundzwanzig braune Sklaven ruderten die prächtige Galeere, die den Prinzen Amgiad zu dem Palast des Kalifen bringen sollte. Der Prinz aber, in seinen Purpurmantel gehüllt, lag allein auf dem Verdeck unter dem dunkelblauen, sternbesäten Nachthimmel, und sein Blick –«
Bis hierher hatte die Kleine laut gelesen; jetzt, beinahe plötzlich, fielen ihr die Augen zu. Die Eltern sahen einander lächelnd an, Fridolin beugte sich zu ihr nieder, küßte sie auf das blonde Haar und klappte das Buch zu, das auf dem noch nicht abgeräumten Tische lag. Das Kind sah auf wie ertappt.
»Neun Uhr«, sagte der Vater, »es ist Zeit schlafen zu gehen.

... puis dans la traduction nouvelle de Philippe Forget (Paris : Livre de Poche, "Biblio", n° 3358, p. 57).

"Vingt-quatre esclaves à peau brune entraînaient la somptueuse galère qui devait conduire le Prince Amgiad au palais du Calife. Le Prince, lui, drapé dans son manteau de pourpre, était étendu seul sur le pont supérieur, sous le ciel bleu sombre parsemé d'étoiles, et son regard ..."
Jusque-là, la petite avait lu à haute voix ; maintenant, presque d'un seul coup, ses yeux se fermèrent. Ses parents se regardèrent en souriant, Fridolin se pencha sur elle, l'embrassa sur ses cheveux blonds et referma d'un coup sec le livre posé sur la table qui n'avait pas encore été débarrassée. L'enfant leva les yeux, comme prise sur le fait.
"Neuf heures", dit le père, "il est temps d'aller dormir."


Rien à dire. Le verbe 'klappen' est de loin plus 'claquant' que 'refermer d'un coup sec'.

Une note indique que le Prince Amgiad est le "Héros d'un des Contes des Mille et Une Nuits : "Histoire des princes Amgiad et Assad".
Etape suivante, relire Les Mille et Une Nuits (Alf layla wa-layla) dans la nouvelle traduction de "La Bibliothèque de La Pléiade" : le premier des trois volumes est déjà sorti, mais il faudra plus d'une pause pour avaler ses 1250 pages.

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