Voici pour mémoire les propos incriminés :
Label: «traduction fidèle»
Avec son projet de scan de 15 millions d'ouvrages, Google menacerait la culture française. Il me semble que les éditeurs français ont trouvé depuis longtemps une parade dont personne ne parle. Ainsi, la plupart d'entre eux ont pour règle, lorsqu'ils traduisent un ouvrage en français, de le réduire de 10 % au moins (et parfois jusqu'à la moitié). Au départ, je pensais que c'était une pratique marginale en vigueur chez les éditeurs de soupe qui publient les livres populaires sur les soucoupes et l'Atlantide. Pas du tout : la pratique est aussi répandue dans des maisons qui ont pignon sur rue. Ainsi, une bonne partie de notre fonds littéraire étranger est à retraduire. Complot visant à déprécier la littérature étrangère ? Mépris du lecteur ? Des auteurs ? Je propose la création d'un label qui sera apposé par l'éditeur sur le livre pour garantir que la traduction est fidèle. Et s'il est pris à faire des coupes sombres malgré le label, eh bien il rembourse les acheteurs. Et s'il ne met pas le label, eh bien méfiance.
C'est sans doute le moment de ressortir deux phrases prononcées par Jacques Dars lors d'un entretien qu'il avait donné au journal Le Monde (12 mars 1999) : "La traduction, travail long et ingrat, artisanal et artistique, est curieusement un domaine sans règle ni point de repère, où apparemment tous les coups sont permis... Il y a trop souvent association de malfaiteurs entre traducteurs médiocres et éditeurs complaisants." |
Pour poursuivre, voici une remarque de Paul Ricoeur (1913-2005) trouvée dans son Sur la traduction (Paris : Bayard, 2004) : La seule façon de critiquer une traduction - ce qu'on peut toujours faire -, c'est d'en proposer une autre présumée, prétendue meilleure ou différente. Et c'est d'ailleurs ce qui se passe sur le terrain des traducteurs professionnels. En ce qui concerne les grands textes de notre culture, nous vivons pour l'essentiel sur des re-traductions à leur tour sans fin remise sur le métier. (p. 40) |
Un excellent exemple de re-traduction réussie est celle que Guy Jouvet vient de donner de The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gent. (1759-67) de STERNE, Laurence (1713-1768) : La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme. (Auch : Editions Tristram, 2004. 939 pages.) Un régal offert après quinze ans de travail !
A la question : "Quelles sont les difficultés de la traduction de Tristram Shandy ?, posée par Isabelle Rüf ("Tristram Shandy. Un chef-d'œuvre des Lumières rajeuni par une traduction hardie", Le Temps.ch, Samedi 28 février 2004), Guy Jouvet avait répondu :
"Etre à la hauteur de l'œuvre ! Victor Hugo disait, à propos des traductions de Shakespeare : « Il est bon de s'augmenter d'un poète, pas moins d'y ajouter un philosophe.» La moindre des choses est que la traduction restitue la qualité de l'original. Sterne invente des langages, joue avec les rythmes, les temps, les allitérations. Il fallait tenter de les rendre. Ainsi, j'ai traduit les noms propres parce qu'ils ont un sens précis. On m'a reproché les archaïsmes et les néologismes. Voyez Victor Hugo encore : «Les grands écrivains font l'enrichissement des langues, les traducteurs en ralentissent l'appauvrissement ! » La langue de Sterne elle-même explore tous les registres. Les mots ont souvent deux ou trois sens – savant, scatologique, obscène... Le plus difficile était de rendre les temps des verbes : le passé dans le futur, par exemple. Ce sont des astuces qui révèlent la liberté contrôlée avec laquelle il joue avec le temps et l'espace. Et quand il fait des citations en français, il écrit en «franco-shandéen» : j'ai donc respecté ces fautes qui sont volontaires."
Et quand on lui demande "Vous avez rédigé énormément de notes. Sont-elles indispensables à la lecture de Sterne?", il répond :
"Comme avec Shakespeare ou Molière, une première lecture est possible. La distance comique est immédiatement perceptible, grâce au rythme, à la poésie. Mais Sterne demande aussi du travail au lecteur. Le commentaire ajoute au plaisir. Sterne travaille avec toute une bibliothèque derrière lui et il ne cite pas toujours ses références, les auteurs qu'il pastiche ou qu'il cite. On peut faire beaucoup de lectures d'un texte aussi riche. Cette énergie vitale traverse les siècles."
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