vendredi 4 février 2005

Correspondances

22 ans après le long article qu'il avait consacré au Père Huc, "Les tribulations d’un Gascon en Chine", Simon Leys livre sa lecture des quelque 1500 lettres de la Correspondance de Victor Segalen (Fayard, 2004, 3 volumes : 2850 p.) en signant pour le Figaro littéraire un long compte rendu intitulé "Victor Segalen, les tribulations d’un poète en Chine", fév. 2005) qui est actuellement disponible en ligne.

La lecture est, rien de surprenant avec Simon leys, d'une grande pertinence, sans concession et magnifiquement virtuose. Grâce à cette évaluation méticuleuse, j'ai finalement compris ce qui m'a toujours gêné, déplu, irrité dans l'oeuvre de Segalen, mis à part le "miraculeux accident" de René Leys.

Voici un court passage du compte rendu :

Quant aux gens, "le caractère chinois ne m'est pas sympathique... Je n'éprouve pour lui ni admiration ni sentiment de grandeur ou de force. Toutes ses manifestations autour de moi sont frappées d'infantilisme ou de sénilité. Ils pleurent comme des petites filles, se battent comme des roquets, grimacent comme des clowns et sont irrémissiblement un peuple de laids".

Alors, qu'était-il donc allé faire là-bas ? "Au fond ce n'est pas la Chine que je suis venu chercher ici, mais une vision de la Chine. Celle-là, je la tiens, et j'y mords à pleines dents." Phrase clé, et qui explique un mystère : ce profond poète a entièrement ignoré la sublime poésie chinoise ; ce fin connaisseur de peinture semble n'avoir pas vu une seule peinture chinoise (dans toute sa correspondance, il ne fait qu'une fois mention de cet art incomparable, mais en termes abstraits, et en l'accompagnant d'une sottise : "Je travaille la peinture chinoise. Ancienne bien entendu. L'actuelle n'existe pas").

Plus ahurissant encore, ce passionné de musique ignore jusqu'à l'existence même d'une musique classique chinoise la musique des lettrés, musique de l'âme et du silence, jouée sur la cithare à sept cordes,
guqin. Et il ose se plaindre qu'il vit dans "un pays sans musicalité" qui ne connaît que le bruit ! Il n'a jamais cherché à rencontrer des maîtres chinois qui eussent pu l'initier aux disciplines variées de leur culture, il ne fréquente ni lettrés ni artistes, il semble n'avoir jamais eu une seule conversation intelligente avec un seul intellectuel chinois.

Aussi, ce n'est pas la Chine qui est finie, "close, sucée" cette Chine, en fait, il n'y avait même pas mordu mais seulement sa "vision". Et cette vision, quelle était-elle ? Il l'a consignée dans ce qu'il concevait comme son grand oeuvre,
Le Fils du Ciel. Hélas, ce Fils du Ciel est à l'Empereur de Chine, à peu près ce que Le Mikado de Gilbert et Sullivan est à l'Empereur du Japon avec cette seule différence que le premier n'est guère amusant.

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