La toute récente réédition des Six récits au fil inconstant des jours (J.-C. Lattès), la traduction historique du Fusheng liuji 浮生六記 de Shen Fu 沈復 (1763-1825 ?) par Pierre Ryckmans, parue sous le nom de Simon Leys et la précédente dans la collection « 10/18 » chez Christian Bourgois (1982) n'ont repris la préface qu'avait donnée à la première édition en 1966, chez F. Larcier à Bruxelles, Yves Hervouet (1921-1999), alors Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaux. Je l'ai déjà signalé ailleurs. Ici, je veux juste reproduire ce court texte que peu de monde est en mesure de lire :
Nul mieux que M. Pierre Ryckmans n'était capable de présenter au public de langue française cette œuvre attachante de la vieille Chine. Il a pour ce faire l'avantage d'avoir vécu plusieurs années en Extrême-Orient dans un milieu très chinois, près de lettrés qualifiés pour lui expliquer non seulement les finesses de la langue mais aussi les particularités de la civilisation chinoise ancienne. Il avai aussi l'enthousiasme de la jeunesse que l'on sent dans la ferveur de sa langue, d'une langue qu'il manie d'ailleurs fort bien. Cette œuvre destinée au grand public n'en est pas moins l'œuvre d'un sinologue de métier et cela laisse bien augurer de la jeune école sinologique de Belgique. Plusieurs jeunes chercheurs, avec M. Ryckmans, sauront lui faire honneur.
Pourquoi avoir choisi ce texte au milieu de centaines d'œuvres de la littérature chinoise qui ne sont pas encore traduites en français ? L'introduction nous dit quel en est l'intérêt. Je voudrais ajouter qulques réflexions personnelles. Qu'avons-nous donc ici ? Ce n'est pas un jounal, une chronique des événements de la vie de Shen Fu (né en 1763, mort après 1810) : il y a trop de considération de toutes sortes, de digressions, de désordre dans la narration pour que les Six récits méritent le nom de journal. Ce ne sont pas non plus des mémoires intérieurs : Shen Fu est trop désireux de nous raconter des anecdotes diverses, de nous montrer surtout des paysages ou des jardins, de nous donner des recettes pour faire pousser un arbre nain ou pour réaliser un bel arrangement de fleurs – qui présentera encore cela comme des arts propres au Japon ? – ou même pour parfumer du thé en le déposant dans une corolle de lotus avant qu'elle ne se ferme pour la nuit. Ce sont des épanchements sur tout ce qui se présente dans la vie de Shen Fu et c'est ce caractère de confidences qui fait tout le charme de ce texte.
On y trouve une très belle histoire d'amour, d'un véritable amour-passion – qui parlera encore de l'impassibilité des Chinois ? – mais la passion n'en laisse pas moins place à de curieuses amitiés féminines chez la jeune femme et à de touchantes « aventures » chez notre auteur. On trouve aussi dans ces pages de nombreux détails sur la civilisation chinoise traditionnelle, les fêtes, les superstitions, les mœurs du temps et les usages de chaque région, les délicates jouissances d'un lettré. Et cet aspect du récit est, de mon point de vue de sinologue, prodigieusement intéressant. Il me semble qu'il devrait l'être aussi pour tout homme qui se soucie de culture.
Il me reste donc à souhaiter beaucoup de succès à cet ouvrage qui, à travers même l'étrangeté de certaines pages, ouvre un nouveau paysage de l'âme humaine.
En illustration, le haut de la pile des ouvrages sortis pour composer le billet publié aujourd'hui-même sur le site de Leo2T.
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