Comme dit le dicton : « Au printemps, on range son intérieur, l'automne venu, son ordinateur » ; c'est ainsi que dans le nombre assez impressionnant des fichiers qui sommeillaient dans un dossier « PDF à ranger », je suis tombé sur un document de 12,7 Mo téléchargé depuis Gallica en mars 2007 -- un des nombreux trésors que propose gracieusement, sur son site, la BNF. C'est sans doute son titre et son sous-titre qui avaient à l'époque retenu mon attention :
Nouveau voyage autour du monde,
par Le Gentil,
enrichi de plusieurs plans, vûës et perspectives des principales villes et ports du Pérou, Chily, Brésil et de la Chine, avec une description de l'Empire de la Chine beaucoup plus ample & plus circonstanciée que celles qui ont paru jusqu'à présent, où il est traité des Mœurs, Religion, Politique, éducation & commerce des Peuples de cet Empire.
L'ouvrage que l'on doit à un certain De La Barbinais Le Gentil a été publié à Amsterdam, chez Pierre Mortier, en 1728. Sa cote est NUMM-74613. Sa lecture réserve de bonnes surprises, surtout à partir de la page 157, car le voyageur qui s'est engagé vis-à-vis de son correspondant, Le Comte de Morville, Ministre et secrétaire d'Etat, à écrire « le détail de tout ce qui [lui] arriverait dans le cours de [ses] voyages », arrive en Chine, celle des Qing 清 (1644-1911) sous le règne de l'empereur Kangxi 康熙 (r. 1662-1722) et plus précisément en l'an 1716. Il se retrouve contraint de se rendre à « Emoüy [Amoy, Xiamen 廈門] dans la Province du Fokien [Fujian] », port qui passe, à tort selon lui, pour être « plus propre au commerce que celui de Canton » (page 154).
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer, pour commencer cette lecture dont je vous ferai profiter ici selon mon humeur, une petite anecdote piquante, illustrant à merveille la délicate ingéniosité chinoise :
Tous les Mandarins ont un sceau annexé à la Charge qu'ils exercent ; s'ils le perdent ils courent risque de perdre leur emploi d'être punis peut-être encore plus sévèrement. Le R. P. Laureaty me raconta à ce sujet un événement assez particulier dont il avait été témoin. Un Mandarin de guerre ayant eu plusieurs démêlés avec un Mandarin de justice, lui fit dérober son sceau. Celui-ci qui n'ignorait pas les conséquences de cette perte, & qui soupçonna aussitôt l'auteur de ce vol, usa de ce stratagème. Il mit le feu à son Palais, & l'incendie ayant attiré tous les Mandarins, qui dans ces occasions sont obligés d'accourir & de donner leurs ordres pour prévenir le progrès de l'embrasement, son ennemi y vint aussi par politique & par devoir. Alors le Mandarin contrefaisant l'homme éperdu, sortit de sa maison tenant en main une boite semblable à celle qui renfermait auparavant le sceau : prenez, dit-il au Mandarin de guerre, le sceau que j'ai reçu de l'Empereur, gardez-le tandis que j'irai prévenir les suites de cet embrasement. Tous les assistants furent témoins de ces paroles, en sorte que le feu étant éteint, le Mandarin de guerre fut obligé de restituer à l'autre le sceau qu'il lui avait volé. personne ne l'aurait cru, s'il avait osé dire que la boite était vide lorsqu'il l'avait reçue.(Extrait de la « Lettre huitième : A Emouy le 24 Octobre 1716 », pp. 298-299)
En lisant ce passage, on ne peut pas, surtout si on vient, comme moi, de le dévorer, ne pas penser au chapitre XIII des Créatures du docteur Fu Manchu (Sax Rohmer, trad. Anne-Sylvie Homassel, Zulma, 2008, pp. 125-136) dans lequel le terrible Chinois est en prise à une redoutable colère car il a perdu l'insigne de la distinction qu'il vient de recevoir : un paon sacré. Par bonheur, « le goût infantile des Chinois pour les breloques » va permettre au bon Dr Petrie et à l'agent Nayland Smith de sauver, in extremis, leur vie.
Avant de refermer pour qui sait combien de temps ce récit épistolaire à vocation encyclopédique, en voici un dernier aperçu (pp. 192-193), toujours dans une transcription qui conserve presque toujours l’orthographe et la présentation d’origine :
Le 2 d'Août j'allai chez un riche Chinois, qui m'invitait depuis longtemps à l'aller voir : pour m'engager à faire de lui un jugement avantageux, il me montra une attestation d'un Ministre Anglais, écrite en Langue Latine, dans laquelle il était dit, que si quelque malheureux Européen était forcé par la destinée de venir dans le Port d'Emouy, il l'avertissait que le Chinois nommé Hia-cua, était le plus grand fripon d'une ville dont tous les habitants étaient voleurs, de mauvaise foi, &c.
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