L'erreur que je me risque à dévoiler ici - ce n'est pas la seule ici, encore moins dans l'ouvrage -, est d'autant plus piquante qu'elle intervient dans un passage où il est justement question de traduction, et que son auteur dénonce une trahison touchant un texte emblématique de la grande littérature chinoise.
Elle intervient dans un chapitre intitulé "Les lettres chinoises" qui est la version française de "Chinese Scholarship" une des six parties de The Spirit of the Chinese People ouvrage composé en 1914 et anglais par Gu Hongming 辜鴻銘 (1857-1928). Voici le passage en question, rigoureusement livré dans sa présentation d'origine :
Immédiatement après les travaux du Dr Legge, la récente traduction du Roi Nan-hua de ChuangTzu par M. Balfour est une oeuvre de la plus haute ambition. Nous avouons avoir éprouvé, lorsque pour la première fois nous entendîmes annoncer cet ouvrage, une impatience et un plaisir singulier. Le roi Nan-hua est considéré par les Chinois comme une des oeuvres les plus hautes de leur littérature nationale. Depuis sa publication, deux siècles avant l’ère chrétienne, son influence sur la littérature chinoise est à peine inférieure à l’oeuvre de Confucius et de ses écoles. Son influence sur la langue et l’esprit de la littérature poétique et imaginative des dynasties successives est presque aussi exclusive que celles des Quatre Livres et des Cinq Chinois sur les oeuvres philosophiques de la Chine. Mais l’ouvrage de M. Balfour n’est pas du tout une traduction. C’est tout simplement une trahison.
Le texte original est le suivant :
On le voit, la confusion qui nous vaut d'être gratifié d'un "Roi Nan-hua", est née de l'absence d'italiques dans la version de départ et du choix de la transcription du caractère 經 (jing ) en King pour rendre lisible à des Occidentaux le titre alternatif de l'ouvrage attribué à Zhuangzi 莊子: Nanhuajing 南華經. Celui qui s'est rendu coupable de cette bévue est, finalement, plus à plaindre qu'à condamner. M. P. Rival (?) n'était, sans aucun doute, aucunement versé dans les arcanes de la civilisation chinoise, ce qu'on ne peut guère lui reprocher. Sa traduction - une commande de l'éditeur (Maurice Delamain et/ou Jacques Boutelleau (alias Jacques Chardonne), vraisemblablement -, parut en 1927, à Paris à la Librairie Stock sous le titre L'esprit du Peuple chinois. Le nom de l'auteur y est transcrit ainsi : Kou-Houng-Ming. Il figure dans la "Série Orange" en compagnie d'un Mahatma Gandhi de Romain Rolland (1866-1944), La jeune Inde de Gandhi (1869-1948), Le monde qui naît du Comte H. de Keyserling, L'éthique de Kropotkine (1842-1921) et Siloë de Gaston Roupnel (1871-1946). Cette traduction de L'esprit du peuple chinois a été rééditée aux Editions de l'Aube en 1996. Je ne sais pas si cette erreur a, ou non, été corrigée par l'éditeur. Pour ce qui est du traducteur mis en cause par Gu, il s'agit de Frederic Henry Balfour dont la traduction du Zhuangzi fut publiée en 1881 sous le titre The Divine Classic of Nan-Hua, Being the Works of Chuang Tsze, Taoist Philosopher, With an excursus, and copious annotations in English and Chinese by Frederic Henry Balfour (Shanghai - Hong Kong : Kelly and Walsh). Elle a été rééditée en facsimilé par Elibron Classics en 2004 (475 pages). GoogleBooks en offre également un aperçu. On peut se faire une idée plus complète des autres traductions de F. H. Balfour en consultant Taoist Texts, Ethical, Political and Speculative. Shanghai-London : Kelly & Walsh, 1884, à partir d'ici. Sur James Legge (1815-1897) voir ici. L'illustration est tirée d'un portrait de Gu par Liang Danmei 梁丹美(1934-), qu'on peut voir ici. |
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